Analyse d'une professeure en psychologie
Manipulée par «Brad Pitt» puis harcelée, Anne était sans doute la victime parfaite

Escroquée par «Brad Pitt», Anne, 53 ans, est victime d'une vague de moqueries. Mais pourquoi la Française a-t-elle si facilement accepté le scénario douteux imaginé par ses manipulateurs? Une professeure en psychologie nous livre son analyse.
Publié: 16.01.2025 à 10:49 heures
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Dernière mise à jour: 08:11 heures
Persuadée de vivre une idylle avec Brad Pitt, Anne, 53 ans, a fini par lui céder 830'000 euros. Bien que la situation semble absurde, rappelons que les manipulateurs sont experts dans l'exploitation des faiblesses de leurs victimes.
Photo: Sept à Huit/TF1
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

Elle s'appelle Anne et, à l'instar de l'homme qu'elle croyait aimer, est en passe de devenir mondialement célèbre. Mais, hélas, pas pour de très bonnes raisons. 

Après deux ans de correspondance enflammée avec un individu se faisant passer pour Brad Pitt, la Française de 53 ans, ex-femme de milliardaire, a fini par lui céder près de 830'000 euros pour financer un traitement contre le cancer dont il prétendait souffrir. Son tragique récit a été révélé le 12 janvier dans un documentaire TF1, accueilli par une virulente salve de moqueries sur les réseaux sociaux et censuré quelques jours après sa diffusion.

Même Netflix France s'est ouvertement amusé des déboires de la décoratrice d'intérieur, partageant sur X une sélection de «4 films à voir avec Brad Pitt (promis)». De son côté, le club de football Toulouse FC a présenté des excuses publiques après avoir rédigé un post moqueur peu apprécié par sa communauté. 

Très affectée par le harcèlement qu'elle subit, Anne a fait trois tentatives de suicide et est actuellement hospitalisée pour une dépression grave, indique Madame Figaro

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Pas de trouble psychique apparent

Malgré tout, la quinquagénaire a tenu à répondre aux innombrables critiques, sur la chaîne YouTube «Legend» animée par Guillaume Pley. «Je ne suis ni folle ni naïve, contrairement à ce que certains affirment sur les réseaux sociaux, a-t-elle déclaré. J’ai juste voulu aider une personne et, je me suis fait avoir, je le reconnais.»

Durant l'émission, la malheureuse raconte avoir été très dubitative au départ, avant de s'autoriser à croire aux «preuves» (dont surtout des photos générées par IA) que lui envoyait le prétendu Brad. Aussi aurait-elle tenté à plusieurs reprises de s'extirper de cette situation, retenue par des stratagèmes de chantage émotionnel et de manipulation, jouant sur son sentiment de culpabilité. 

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Mais qu'est-ce qui prédispose une personne à se laisser happer par une telle manigance, durant des mois entiers? Pour Elise Dan-Glauser, Professeure à l'Institut de psychologie de l'Université de Lausanne, tout dépend évidemment du contexte et de la personnalité de chaque individu. Mais selon elle, ce cas de figure n'implique pas forcément d'un trouble psychique en soi: 

«J'y verrais plutôt un déficit de 'théorie de l'esprit', c'est-à-dire la capacité à différencier nos pensées, objectifs et intentions de celles des autres, analyse-t-elle. On peut ainsi imaginer que cette femme n'ait pas du tout pensé que les intentions d'autrui puissent être mauvaises, parce que les siennes ne l'étaient tout simplement pas.» 

Un style d'attachement insécure

À noter que les manipulateurs professionnels semblent particulièrement doués pour identifier, puis exploiter au maximum les sensibilités et fragilités de leurs victimes, qu'ils peuvent choisir «sur mesure» pour arriver à leurs fins. 

Notre experte estime effectivement que la situation suggère un trouble de l'attachement, peut-être un style d'attachement insécure, allant de pair avec un besoin d'être aimé ou reconnu. Toujours dans l'émission «Legend», Anne explique en effet que «Brad Pitt» s'intéressait davantage à elle que son propre mari, lui tenant les propos qu'elle rêvait d'entendre: «Cela peut pousser à des croyances ou des actes très déraisonnables», analyse Elise Dan-Glauser. 

Rappelons toutefois que chaque personnalité est incroyablement complexe, dotée de nœuds et de nuances intrinsèques qu'on ne peut analyser ou comprendre sans une certaine expertise. Dans le profil d'Anne, par exemple, Elise Dan-Glauser remarque une contradiction flagrante: «Je trouve très étonnant que ce piège ait fonctionné et que la victime ne se soit pas demandé 'pourquoi moi?'. Cela suggère peut-être une estime de soi assez élevée, ce qui contraste avec le style d'attachement insécure. Mais ce n'est pas impossible et cette combinaison relativement rare pourrait expliquer l'aspect 'phénoménal' de la situation.»

Pourrions-nous tous vivre la même chose?

En effet, la fascination suscitée par les malheurs d'Anne prend des proportions impressionnantes: même la presse anglo-saxonne s'est emparée du récit, relayant toute l'histoire pour ses lecteurs, sans doute subjugués. On peut dès lors se demander pourquoi une victime de manipulation, en pleine souffrance, s'attire des réactions aussi véhémentes. 

Pour Robert Zuili, psychologue spécialisé dans les émotions, les critiques ou railleries postées par des milliers d'internautes pourraient venir d'un simple mécanisme de défense: «Quand on se sent soi-même menacé, on s’attaque à celui qui nous confronte à cette menace», déclare-t-il auprès de 20 Minutes France.

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«C'est précisément le fait de croire que cela ne peut pas nous arriver qui nous met en danger.»
Elise Dan Glauser, professeure à l'Institut de psychologie de l'Université de Lausanne
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Cela signifie-t-il que nous pourrions toutes et tous être confrontés à ce type de situation, à condition que les manipulateurs adaptent parfaitement l'illusion aux faiblesses qu'ils perçoivent chez nous? Pour Elise Dan-Glauser, la réponse est plutôt négative: 

«Il ne me semble pas que toute personne soit menacée par ce genre d'arnaque, précise-t-elle. Les manipulateurs ciblent les vulnérabilités. Si nous ne sommes pas vulnérables, isolés, ou si nous ne cumulons pas les vulnérabilités, il y a peu de chance que nous devenions les cibles des arnaques.» 

Nous sous-estimons notre vulnérabilité aux biais

Or, si le risque de vivre un scénario aussi spectaculaire et fulgurant que celui d'Anne ne peut s'appliquer à tous les profils, notre experte recommande tout de même une certaine vigilance: «Nous sommes très nombreux, environ 85%, à se croire moins sujets que la moyenne aux biais psychologiques, aux perceptions faussées de la réalité. Une bonne partie de ces 85% est en réalité moyennement affectée ou même sur-affectée par ces biais.»

Ainsi, pour notre experte, c'est précisément le fait de croire que cela ne peut pas nous arriver qui nous met en danger. D'où la vulnérabilité d'Anne, sans doute incapable d'imaginer qu'un individu, même un arnaqueur professionnel, puisse être suffisamment cruel pour lui infliger une telle souffrance. 

On y pensera peut-être, le jour où un message particulièrement prometteur nous parviendra sur Instagram et qu'on sentira poindre, au fond de l'antre le plus fragile de notre âme, l'appel presque irrésistible du conte de fées.

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