La Suisse est prévenue
Ursula von der Leyen, présidente «cramée» de la Commission européenne

La présidente allemande de la Commission européenne, candidate à sa propre succession, fait face à un lever de boucliers. A Bruxelles, les accusations contre sa gestion se multiplient. La Suisse, qui négocie, ferait bien d'y prendre garde.
Publié: 06.04.2024 à 17:08 heures
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Dernière mise à jour: 08.04.2024 à 00:04 heures
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La président de la Commission européenne a accueilli Viola Amherd le 18 mars à Bruxelles pour la reprise officielle des négociations entre la Suisse et l'UE.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

A-t-elle déjà perdu toute chance d’être reconduite, en juillet prochain, à la présidence de la très puissante Commission européenne, le pouvoir exécutif de l’UE? Ses adversaires s’y emploient en tout cas. Et les détracteurs de son bilan à la tête de l’institution, depuis 2019, y voient la preuve qu’ils avaient raison.

Ursula von der Leyen commence même à donner des sueurs froides au Chancelier allemand, le social-démocrate Olaf Scholz, son ancien collègue dans les gouvernements de coalition d’Angela Merkel. Même s’il n’est pas de son bord politique, celui-ci sait en effet que la chute de VDL, comme on la surnomme, entraînerait la perte de ce poste décisif pour l’Allemagne. De quoi inquiéter Berlin, tant la tour de contrôle communautaire est importante, dans l’actuelle conjoncture économique et internationale.

La femme qui fâche

VDL, ou la femme qui fâche. La Suisse, qui vient de relancer ses négociations bilatérales avec l’Union européenne, a donc tout intérêt à garder ses distances. Ce qui ne sera pas difficile. Le 18 mars, Ursula von der Leyen n’est pas restée lors du déjeuner offert par la Commission européenne à la présidente de la Confédération Viola Amherd, après un échange de près d’une heure.

Camouflet diplomatique? Non. Le Vice-président de la Commission chargé du dossier helvétique, Maros Sefcovic, a bien partagé, lui, le menu du jour dans la salle à manger du Berlaymont, le QG bruxellois de la Commission.

Les élections de juin

Problème: ce dernier est donné partant à l’issue des prochaines élections européennes qui auront lieu dans les 27 pays membres du 6 au 9 juin. Il risque de ne pas être retenu par son pays, la Slovaquie, dirigée par le national populiste de gauche Robert Fico, pour siéger de nouveau au sein du Collège des 27 commissaires, le «gouvernement» de l’Union.

Et second problème, plus important: Ursula von der Leyen elle-même est sur la sellette. Déjà en campagne pour décrocher un second mandat, elle voit les mines exploser les unes après les autres sous ses pieds.

Quelles mines pour cette ancienne ministre de la Défense, connue pour sa proximité avec les États-Unis et dont le nom a parfois été cité pour prendre la tête de l’OTAN, l’Alliance atlantique dont le secrétaire général norvégien Jens Stoltenberg terminera son mandat lui aussi en juillet, lors d’un sommet à Washington?

Les réticences du PPE

La première explosion est politique. Son camp conservateur, celui du parti populaire européen (PPE) est divisé sur sa candidature, comme on l’a vu au Congrès de Bucarest (Roumanie) début mars. Sur les 801 délégués de ce parti qui regroupe les formations de droite (dont le Centre pour la Suisse), seuls 400 ont voté pour VDL! La moitié! Loin d’un soutien unanime. Fait plus que symbolique: le groupe français des «Républicains» a voté contre. Le tremplin espéré s’est transformé en quasi-toboggan pour la sortante.

La seconde explosion est administrative. Ursula von der Leyen est accusée d’avoir, à plusieurs reprises, manœuvré au détriment des règles européennes en vigueur, sans la transparence requise, pour faire aboutir des contrats ou des nominations controversées. La plus médiatique de ces affaires est celle qui concerne son échange de SMS avec la direction du géant pharmaceutique Pfizer en pleine crise du Covid. Ce géant, avec lequel le mari d’Ursula von der Leyen avait des relations professionnelles, a obtenu une commande sans précédent de l’Union européenne pour 2,4 milliards de doses de vaccins. De loin, le premier fournisseur européen. Normal? Abusif? Logique dans cette période de précipitation vaccinale? Plusieurs eurodéputés ont sonné la charge contre Ursula von der Leyen et l’on parle maintenant à Bruxelles de «Pfizergate». Mais pour l’heure, les SMS concernés n’ont toujours pas été rendus publics.

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Autre exemple révélé par la lettre d’information «La matinale européenne»: la nomination récente d’un candidat allemand issu du PPE, l’eurodéputé conservateur Markus Pieper, comme envoyé spécial de la Commission pour les petites et moyennes entreprises. Pourquoi lui alors qu’il n’était pas le mieux placé à l’issue de la procédure? Pourquoi cette promesse faite par VDL d’un futur «commissaire aux PME»?

En 2023, la présidente de la Commission avait aussi couvert la nomination controversée de l’Américaine Fiona Scott-Morton comme économiste en chef de la division Concurrence. La compétence de l’intéressée n’était cette fois pas en cause. C’est sa nationalité qui posait problème. In fine, la nominée avait renoncé devant l’opposition de plusieurs Commissaires dont le Français Thierry Breton. Ce dernier, peut-être animé par l’envie de diriger demain le Berlaymont, mène aujourd’hui la fronde contre sa patronne.

Le problème israélien

Troisième explosion sur le plan géopolitique. Elle est devenue criante lorsque à la mi-octobre, après l’assaut du Hamas du 7 octobre, Ursula von der Leyen a déclaré son «soutien inconditionnel» à Israël. Il faut dire que, depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs États membres déplorent les initiatives unilatérales de la présidente de la Commission européenne, qui les placent devant le fait accompli.

Son soutien constant à Kiev, avant les sommets européens, a fait grincer des dents. Le patron du Conseil Charles Michel, qui représente les 27, est de notoriété publique exaspéré par VDL. Et vice versa. Or l’ancien premier ministre belge quitte ses fonctions en juillet. Alors, pourquoi garder Ursula?

Les «Top Jobs»

La réponse à cette question sera dans les mains des Chefs d’État et de gouvernement après le scrutin du 9 juin. Leur choix doit en théorie se porter sur un candidat qui reflète les résultats de l’élection. Une nouvelle victoire des conservateurs du PPE serait donc un atout pour la présidente sortante.

Mais quelle victoire? Avec quels alliés? Tous les cinq ans, l’UE doit désigner les titulaires de ses «Top jobs», à la tête des institutions. L’ancien premier ministre italien Mario Draghi, auréolé par ses années à la tête de la Banque centrale européenne, est souvent cité en embuscade. Et du côté de l’OTAN, la candidature du premier ministre néerlandais sortant Mark Rutte n’est pas encore gravée dans le marbre.

Alors, VDL va-t-elle exploser sur une des mines qu’elle a semées sur le chemin de sa possible réélection? Est-elle, en somme, déjà «cramée» ?

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