La Suisse conviée à Varsovie
Financer l'armée avec de l'argent européen, c'est parti?

La Suisse, comme la Norvège et le Royaume-Uni, est conviée par la Pologne à la réunion informelle des ministres des finances de l'Union européenne à Varsovie, les 11 et 12 avril. L'un des sujets sur la table: financer ensemble l'effort de défense commun.
Publié: 07.04.2025 à 12:58 heures
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Dernière mise à jour: 07.04.2025 à 17:47 heures
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L'armée suisse pourrait, dans le futur, être équipée d'armes produites en commun avec nos voisins.
Photo: CHRISTIAN BEUTLER
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Richard WerlyJournaliste Blick

Donald Trump est en train d’ouvrir la porte européenne pour l’armée suisse. Attention: il ne s’agit pas d’intégrer une quelconque armée européenne, ou d’adhérer à l’OTAN, cette alliance atlantique en plein malaise, compte tenu des exigences financières de la Maison Blanche vis-à-vis des 31 autres pays membres de l'organisation. La porte en question est polonaise. Il s’agit de permettre à la Confédération de participer, à l’avenir, aux futurs programmes d’armement qui seront mis en place par nos voisins.

L'occasion est une réunion informelle des ministres des Finances des 27 pays membres de l’Union européenne organisée les 11 et 12 avril à Varsovie, au musée militaire national, par la Pologne, qui occupe jusqu’à la fin juin la présidence tournante de l’Union. La Suisse a été conviée à y participer au niveau ministériel, tout comme la Norvège et le Royaume-uni (tous deux membres de l’OTAN).

Séisme financier mondial

A l’agenda des grands argentiers? Évidemment le séisme économique et financier déclenché par les tarifs douaniers annoncés par Trump lors de son jour autoproclamé «de la libération», le 2 avril. Mais aussi les propositions faites par l’Institut de recherche bruxellois Bruegel, à la demande du gouvernement polonais, sur la meilleure façon de coordonner les dépenses de défense entre pays européens.

«Nous ne devons pas laisser les tensions commerciales éclipser le fait qu’une véritable guerre se déroule sur le sol européen» peut-on lire dans la lettre d’invitation officielle signée par le ministre polonais des Finances, que nous avons pu consulter. La suite? «Le financement de la défense est devenu une question majeure, les gouvernements prévoyant de dépenser des centaines de milliards d’euros pour leur réarmement. Or, cet argent doit être dépensé à bon escient. Sans une approche coordonnée, la fragmentation des marchés de la défense nous empêchera d’atteindre cet objectif».

La Pologne en première ligne

Très proche des Etats-Unis, et déstabilisée par le rapprochement entre Donald Trump et Vladimir Poutine, la Pologne est l’un des pays les plus concernés par la future défense européenne. Impossible, aux frontières de l’Ukraine, de ne pas penser l’avenir en termes de sécurité collective, face à la menace russe que les autorités de Varsovie estiment bien réelle.

Il faut dès lors avancer: «Le document de Bruegel présente deux options potentielles pour remédier aux lacunes actuelles de la politique européenne de défense, poursuit la lettre polonaise. La première est une approche à l’échelle de l’UE, qui assure une large participation mais ne répond pas efficacement aux besoins spécifiques et n’a donc pas d’impact. La seconde propose la création d’une nouvelle institution intergouvernementale. Comme les dépenses de défense restent une prérogative nationale, ce modèle intergouvernemental peut offrir une réponse plus efficace».

Mécanisme intergouvernemental

Or, qui dit intergouvernemental dit porte ouverte pour des pays partenaires. La Suisse est dans le viseur: «La présidente de la Confédération Karin Keller Sutter a en effet été invitée à participer à certaines parties du programme du Conseil informel» confirme-t-on du côté polonais. Il semble toutefois que la cheffe du département des Finances n'assistera pas aux réunions consacrées à la défense.

L’intégration de l’industrie helvétique de l’armement dans l’industrie européenne va-t-elle franchir un nouveau pas? Ce serait logique, car les règles sont en train de changer. Dans son «livre blanc» sur la défense présenté le 19 mars, le Commissaire chargé des questions militaro-industrielles, le lituanien Andrius Kubilius, a, lui aussi, ouvert la porte à une participation suisse, même si le nom du pays n’était pas spécifiquement mentionné. «L’Union européenne devrait poursuivre un engagement et une coopération bénéfiques dans le domaine de la sécurité et de la défense avec tous les pays européens, candidats à l’élargissement et voisins qui partagent ses vues (y compris la Suisse) afin de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur notre continent» affirme ce document.

Coopérer? Oui, mais comment…

Deux options de coopération qui concernent la Suisse sont sur la table. La première est la possibilité des pays membres de l’Union d’acheter ensemble des équipements militaires avec des pays tiers via un programme intitulé SAFE. Il faudra pour cela que les pays tiers concernés concluent au préalable un accord de sécurité «non contraignant» avec l’UE.

Seconde option pour ces pays tiers (dont la Suisse): être éligibles pour les futurs programmes de défense européens. Un accord international de défense entre le pays concerné et l’UE sera dans ce cas nécessaire.

Matériels de guerre exportables

Coïncidence de calendrier: la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats vient de proposer le 1er avril, par 10 voix contre 3, que les demandes d’exportation vers les pays mentionnés dans l’annexe 2 de l’ordonnance sur le matériel de guerre soient acceptées, sauf exceptions.

Les demandes pourraient être refusées en cas de circonstances exceptionnelles et si les intérêts de la Suisse en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité l’exigent. Preuve que, grâce à Donald Trump, la porte européenne est bel et bien en train de s’ouvrir.

Collaboration: Solenn Paulic à Bruxelles

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