Regardez une carte de l’Ukraine. A priori, ce pays de 44 millions d’habitants n’est que partiellement touché par la guerre déclenchée par Vladimir Poutine le 24 février. Toute sa partie occidentale a, pour l’heure, échappé aux bombardements de masse de l’armée russe dont la tactique est désormais d’aplatir tout ce qui se trouve devant elle, avant d’y envoyer ses fantassins et ses blindés.
Est-il faux, par conséquent, de parler d’un pays détruit avant la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine qui se tiendra à Lugano (TI) les 4 et 5 juillet? La réponse est non. En marge du sommet de l’OTAN qui vient de s’achever à Madrid, militaires et humanitaires l’ont reconnu. Reconstruire ce pays s’annonce comme un fardeau colossal pour la communauté internationale. Voici pourquoi.
Un champ de ruines partout où les Russes passent
Les officiers supérieurs de l’OTAN savent qu’une partie de l’opinion publique mondiale compare les destructions causées par la guerre en Ukraine à celles infligées en Irak ou en Afghanistan par les troupes alliées, et en particulier par l’armée américaine. «L’OTAN doit assumer cette comparaison même si elle n’est pas juste. En Afghanistan, l’ex-force d’assistance internationale (ISAF) pilotée par l’Alliance a aussi provoqué des dégâts, il faut l’admettre» reconnaissait récemment, lors d’une conférence, l’Amiral James Stavridis, ancien chef d’État-Major de l’OTAN, maintenant auteur de romans militaires à succès. Sauf que l’ampleur des destructions causées n’a rien à voir.
A Marioupol, dans la région de Kharkiv, dans le Donbass, les missiles et les bombes russes ont tout aplati. «Les photos satellites sont implacables. Ce type de guerre est celle de la terre brûlée confirme un porte-parole de l’Alliance. Les frappes russes ne sont pas ciblées. L’objectif est de transformer cette partie de l’Ukraine en champ de ruines, comme elles l’ont fait jadis en Tchétchénie ou plus récemment à Alep, en Syrie.»
Résultat: si la paix finit par l’emporter, la reconstruction sera multidimensionnelle. Il faudra reconstruire les infrastructures, les bâtiments publics, les quartiers d’habitation. Mais il faudra aussi dépolluer: pollution d’explosifs, pollution au sens strict après la destruction du complexe métallurgique Azovstal à Marioupol, pollution chimique, car des dépôts de carburant ont été réduits en cendres. Au menu de la conférence de Lugano? Un champ de ruines.
L’Ukraine ne sera pas pacifiée avant longtemps
C’est l’autre enjeu de la conférence de Lugano, alors que les chiffres qui circulent sur le coût actuel de la reconstruction future de l’Ukraine flirtent déjà avec les 2000 milliards de dollars, soit trois fois le produit intérieur brut de la Suisse! Cet enjeu est celui de la confiance. Comment convaincre les investisseurs privés internationaux de reconstruire un pays où tout le monde, même en cas de cessez-le-feu, redoutera une nouvelle intervention de l’armée russe? Comment persuader ces investisseurs du potentiel économique de l’Ukraine si le pays se retrouve enclavé, avec un accès minimal à la mer Noire via le seul port d’Odessa dont beaucoup de dirigeants européens pensent qu’il constitue la prochaine cible de Vladimir Poutine, au cœur des vacances estivales!
Bref, même si la paix revient, l’Ukraine ne sera pas pacifiée avant longtemps, surtout sur son flanc oriental. Plus grave: l’intérêt objectif de la Russie de Poutine est de faire peser le maximum de tensions sur ces régions de l’Ukraine pour les maintenir dans une situation de dépendance. La conférence de Lugano, à laquelle participera la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, s’annonce donc comme une conférence de donateurs, presque un sommet humanitaire. «Parler de reconstructions et de réformes en Ukraine (désormais candidate à l’Union européenne) aujourd’hui n’a pas de sens reconnaissait devant nous à Bruxelles, à l’issue du dernier sommet européen des 23 et 24 juin, un porte-parole de la Commission. Aujourd’hui, ce pays est un puits sans fond pour nos portefeuilles. On dépense pour lui permettre de se battre, ce qui revient en réalité à augmenter l’importance des destructions.»
Reconstruire oui, mais quoi et comment?
Reconstruire un pays ne s’improvise pas. Il faut des plans. Il faut penser les futures infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires en fonction des enjeux énergétiques et climatiques de demain. Idem pour les bâtiments. Les Européens le savent: la pire des choses serait que la reconstruction des parties détruites de l’Ukraine se fasse de façon chaotique, car alors ce serait la porte ouverte à toutes les corruptions, à toutes les magouilles, et à toutes les erreurs.
Or personne ne peut prétendre reconstruire le pays sans l’aval des autorités ukrainiennes. Lesquelles, sitôt la guerre finie, risquent de retomber dans leurs querelles d’avant le conflit, qui paralysaient l’action publique. Selon les informations de Blick, l’une des propositions étudiées à Lugano pourrait être la création d’une task force internationale pour la reconstruction de l’Ukraine, placée soit sous l’égide de l’OCDE, l’organisation qui regroupe les pays les plus riches, soit sous celle des Nations unies. Mais attention: qui dit Nations unies dit droit de véto de la Russie, membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU. Donc…
Le champ de ruines ukrainien est déjà un cauchemar géopolitique et humanitaire. La reconstruction du pays sera loin, très loin, d’être une opération sans risques et sans dangers.