Difficile, en Espagne, de parler de «l’invincible armada». Au pays de Cervantes, cette expression désigne le désastre de la flotte navale assemblée au XVIe siècle par le roi Philippe II pour envahir l’Angleterre. En vain. Cette flotte de 130 navires ne parvient jamais sur les côtes britanniques, laminée par les marins anglais et par les tempêtes.
Changement d’époque et nouvelle donne: ce mercredi 29 juin, le sommet des trente pays de l’Otan à Madrid (Espagne) entend bel et bien s’affirmer comme une «invincible armada» contemporaine. Mais pas question cette fois d’être battue par l’ennemi numéro un du moment: la Russie de Vladimir Poutine. Avant même l’ouverture du sommet, l’Alliance Atlantique a confirmé qu’elle va mobiliser désormais 300 000 soldats dans sa force de réaction rapide – au lieu de 40 000 – activable en cas d’agression contre un de ses membres.
L’article 5, garantie suprême de sécurité
Le principe est simple. Il est gravé dans le marbre du traité d’alliance, dans son article 5: «Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord». Un article invoqué au lendemain des attentats à New York, le 11 septembre 2001, pour démontrer la solidarité de l’Otan avec les Etats-Unis.
C’est ce principe, considéré comme une garantie de sécurité, qui a poussé au printemps deux pays neutres, la Finlande et la Suède, à déposer leur demande d’adhésion à l'OTAN. La Suisse et l’Autriche, sur le continent européen, demeurent les deux derniers pays neutres à refuser cette option. Ils participent au «partenariat pour la paix» de l’Alliance mais leur posture est mise en difficulté par les défis collectifs comme celui de l’approvisionnement énergétique ou des sanctions économiques et financières contre la Russie.
Les enjeux de Madrid
Que va-t-il se passer ce mercredi 29 juin à Madrid où les dirigeants des trente pays de l’Alliance Atlantique sont arrivés mardi soir? Trois choses essentielles.
La première sera une discussion sur la guerre en Ukraine et sur les meilleurs moyens pour contrer l’offensive de Vladimir Poutine dans le Donbass, tout en continuant d’épauler militairement l’armée Ukrainienne. On sait que l’élargissement à l’est de l’Otan depuis la chute de l’ex URSS est brandi par le Kremlin comme la raison majeure du déclenchement des hostilités. On sait aussi que même si les pays de l’alliance affirment ne pas être en guerre contre la Russie, ils sont de facto mobilisés pour infliger le maximum de pertes à l’armée russe sur le territoire ukrainien.
Le sommet de Madrid devrait être, officiellement et surtout officieusement, un moment stratégique clé dans l’évaluation de la guerre. Le président Ukrainien Volodymyr Zelensky s’exprimera depuis Kiev. Son pays ne demande plus aujourd’hui l’adhésion à l’OTAN. Mais sans l’appui occidental, il lui serait impossible de tenir face à Moscou. Les pays de l’OTAN peuvent en théorie disposer ensemble de 3,37 millions de soldats actifs et d’environ 1,3 million de réservistes. Ils disposent d’environ 115 000 véhicules blindés. L’un des enjeux d’avenir porte sur les drones, désormais décisifs sur le champ de bataille. L'évaluation des dégâts en Ukraine sera aussi sur la table avant la conférence sur la reconstruction convoquée les 4 et 5 juillet à Lugano, en Suisse.
Joe Biden, commandant en chef
La seconde raison d’être de ce sommet est d’entendre Joe Biden, le président Américain que l’hyperpuissance militaire des Etats-Unis désigné, de facto, comme le commandant en chef de l’Alliance (dont le Chef d’Etat major, ou Saceur pour Supreme Allied Commander Europe est toujours un général américain, aujourd’hui l’aviateur Tod Wolters). Le locataire de la Maison Blanche était déjà venu à Bruxelles en mars rencontrer ses homologues.
C’est de lui que l’on attendait une médiation entre la Turquie et les deux ex-pays neutres scandinaves qui demandent à adhérer: la Finlande et la Suède. Bien vu. Elle a eu lieu et s'est soldée par un succès. Le veto Turc à ces adhésions, en raison de l'accueil de réfugiés kurdes dans ces deux pays, a été levé mardi soir. en échange de l'engagement des deux nations scandinaves à prendre leurs distances avec les formations politiques kurdes, et à lever leur embargo sur les armes envers Ankara. La raison d'État plutôt que les droits de l'homme...
La Turquie, producteur des drones de combat Bayraktar, est aussi le pays incontournable pour le déblocage de la mer noire, puisqu’elle contrôle le Bosphore. Ses litiges avec la Grèce, liée à des opérations de forage pétrolier offshore en mer Egée, fissurent aussi dangereusement l’Alliance.
Joe Biden, devant ses alliés, devra démontrer qu’il reste le patron, sachant que toute nouvelle adhésion doit être approuvée à l’unanimité. Il devra aussi confirmer l'engagement des Etats-Unis à accepter un pilier de défense européen plus autonome dans l'Alliance, à l'heure où tous les pays du continent augmentent leur budget militaire.
La Chine, menace décisive
Troisième moment fort du sommet de Madrid: la réévaluation, par l’OTAN, des menaces stratégiques qui pèsent contre les démocraties occidentales. Un nouveau concept stratégique doit être approuvé et les versions non finalisées de ce document désignent aujourd’hui la Chine comme une menace majeure. Les termes de la précédente déclaration de l’Alliance ne laissent pas de doutes: «Les ambitions déclarées et les actions de la Chine représentent un défi systémique à l’ordre international fondé sur des règles et un défi pour la sécurité des alliés et de l’Alliance» affirme le document approuvé en mars à Bruxelles par les trente pays membres. Le nouveau concept stratégique ira-t-il plus loin, par exemple avec une mention explicite de la sécurité de Taïwan? En mars, le communiqué de l’OTAN demandait à Pékin de «respecter ses engagements internationaux et d’agir de manière responsable au sein du système international, notamment dans les milieux spatial, cyber et maritime, en conformité avec son rôle de grande puissance». Cette fois, l’enjeu est plus décisif encore.
Il s’agit à la fois d’avertir la Chine, mais d’éviter que celle-ci se rapproche à grand pas de la Russie. L’OTAN doit montrer ses muscles en évitant que son déploiement de force n’augmente la solidarité entre ses adversaires. Surtout s’ils doivent, demain, se transformer en ennemis.