Dans une carrière de Donetsk, deux soldats s'entraînent au combat. Accroupis derrière un tas de gravats, ils lèvent toutes les deux secondes leur kalachnikov au-dessus de leur tête et tirent plusieurs coups de feu. Nous sommes à la mi-mars 2025. Pendant que Donald Trump et Vladimir Poutine discutent d'un cessez-le-feu au téléphone, ces recrues ukrainiennes vivent leur première mission sur le front.
L'un d'entre eux se fait appeler R2-D2, comme le robot de la saga «Star Wars». «J'espère que je ne devrai pas aller au combat», confie-t-il. Il y a quelques mois, le jeune homme de 28 ans a reçu son ordre de mobilisation. Il a suivi une formation de base au centre de recrutement de Desna, dans le nord de l'Ukraine, à mi-chemin entre Kiev et Tchernihiv. «Beaucoup de mes collègues là-bas sont déjà morts», raconte R2-D2. Après une première formation, les recrues sont affectées à différents bataillons et certaines doivent aller directement au front. Parmi celles-ci, R2-D2 est envoyé à Donetsk, auprès du bataillon d'attaque Aidar.
«Ils envoient n'importe qui»
Lisiy, le commandant du bataillon, est un homme trapu aux yeux bleus et à la barbe grise. Il accueille ses nouvelles recrues pour une formation complémentaire. «L'armée, c'est ma vie», souffle Lisiy en sortant son livret de service. «Je voulais être soldat depuis mon enfance», ajoute-t-il.
Aidar a été créé en 2014 comme bataillon de volontaires. Ses soldats attaquent les tranchées russes par petits groupes pour en prendre le contrôle. Leur risque de mourir est donc très élevé. «Pendant une attaque, seul ton camarade peut te protéger», explique Lisiy. Si un combattant n'est pas motivé ou reste figé par la peur, il peut causer la mort de tout le groupe.
Quand Aidar ne comptait que des volontaires, la motivation du bataillon était à toutes épreuves. «Mais aujourd'hui, ils nous envoient n'importe qui», explique Lisiy. Après trois ans de guerre d'usure, les forces ukrainiennes sont épuisées. Des soldats expérimentés sont blessés ou tués et les remplacer devient pratiquement impossible.
Une histoire de prestige
Les officiers du service militaire réquisitionnent des hommes ukrainiens et les envoient dans les centres de recrutement. Lisiy n'est pas fier de ces méthodes mais il reste pragmatique: «C'est notre tâche de motiver les nouveaux. Nous nous occupons d'eux, nous les intégrons dans la famille Aidar. Et surtout, nous les formons correctement.»
Depuis l'invasion de 2022, les armes et les techniques de guerre évoluent en permanence. Il est désormais rare que les soldats ukrainiens et russes s'affrontent directement. Il y a deux ans, c'était l'artillerie qui dominait. Désormais, ce sont les missiles à longue portée et les drones armés.
Yuryj Bereza a été le commandant du bataillon Dnipro 1. Dès les premiers mois de la guerre, lui et ses soldats ont piloté des drones lanceurs de grenades. Bereza pense que l'utilisation des drones affaiblit le moral des troupes: «Il n'y a presque pas de contact direct avec l'ennemi. On pilote un drone et on tue. On tire des missiles et peut-être qu'on atteint notre cible. Pour de nombreux commandants, c'est une question de prestige, mais on n'écrit pas d'histoires héroïques avec les techniques de guerre moderne.» Bereza a plus de neuf ans de guerre contre la Russie derrière lui. Il a été blessé à plusieurs reprises et ne compte plus les camarades qu'il a perdu. Il a toujours rappelé à ses soldats que le plus important était leur survie. Sa devise: «Seul un soldat vivant peut tuer».
«Je me battrai pour eux»
R2-D2 se souvient encore du jour où il a appris qu'il devrait partir au combat. «J'avais tellement peur», raconte-t-il. Lors de sa formation, il a appris comment se comporter sur le front. «Maintenant, je me sens plus confiant et prêt à me battre.» Lundi prochain, l'Ukraine et les Etats-Unis se rencontreront en Arabie saoudite pour négocier un cessez-le-feu avec la Russie. Le président ukrainien devra mettre de l'eau dans son vin s'il veut préserver ses troupes. Pour R2-D2, une trêve serait acceptable. «Un cessez-le-feu nous laisse le temps de nous reposer et réfléchir à ce que nous voulons vraiment.»
Lisiy libère les recrues pour la pause de midi. Au menu: de la nourriture en conserve et des barres énergétiques. Le commandant a pratiquement tout sacrifié pour la libération des territoires occupés dans l'est de l'Ukraine. Tous ses biens tiennent dans une petite voiture. Il voit à peine sa famille. Pour lui, déposer les armes maintenant n'est pas une option. «Abandonner nos frères et sœurs, nos enfants, aux occupants? Jamais. Tant que mon cœur battra, je me battrai pour eux.»