Voici comment vivent les habitants de l'endroit le plus dangereux d'Ukraine
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Entre les débris et les drones:Voici comment vivent les habitants de l'endroit le plus dangereux d'Ukraine

«Seuls des malades mentaux vivent encore ici»
Bienvenue dans la ville la plus dangereuse d'Ukraine

Personne ne sait combien de personnes vivent encore à Pokrovsk. Ici, il n'y a pas d'électricité, pas de réseau, pas de police ni d'ambulance. Les magasins ont été pillés. Les bombardements russes sont permanents. Reportage dans la ville la plus dangereuse d'Ukraine.
Publié: 20.03.2025 à 10:30 heures
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Dernière mise à jour: 21.03.2025 à 09:30 heures
Autrefois, 100'000 personnes vivaient à Pokrovsk. Aujourd'hui, seuls ceux qui n'ont pas les moyens de fuir sont encore là.
Photo: Helena Graf
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Helena Graf

Andriy Onistrat conduit sa Skoda cabossée et passe devant un amas de voitures brûlées. «Ça, c'est nouveau», dit-il en désignant une carcasse de camion. Nous roulons sur une route rectiligne qui relie Bilytske à Pokrovsk. Sept kilomètres en solitaires, pas une âme qui vive. Andriy Onistrat tourne à gauche, puis traverse les voies de l'ancienne gare. «Bienvenue dans l'endroit le plus dangereux d'Ukraine», déclare-t-il.

Pokrovsk est une ville de l'oblast de Donetsk. Elle se situe tout à l'est de l'Ukraine. Les tranchées ne sont qu'à quelques kilomètres. Et pour cause: les Russes veulent absolument conquérir cette ville avant de signer un accord de trêve.

Autrefois, Pokrovsk était une grande ville de 100'000 habitants. Aujourd'hui, ils ne sont plus que quelques milliers. Combien exactement? Personne ne le sait. Ce qui est sûr, c'est que cet endroit n'est plus fait pour y vivre. Blick est parvenu à se rendre durant quelques heures dans cette ville de la mort et à discuter avec ses derniers habitants.

«Les pilleurs n'ont même pas laissé les portes»

De base, Andriy Onistrat est un millionnaire qui a fait fortune grâce à ses activités d'hommes d'affaire et de banquier. En 2022, lorsque Vladimir Poutine a décidé d'envahir l'Ukraine, il s'est engagé volontairement dans l'armée. «Quand il y a la guerre, nous devons nous battre», affirme-t-il.

Andriy Onistrat dirige une unité de drones au sein de la 155e brigade. Un détecteur de drones est fixé à ses genoux. L'appareil émet des bips en permanence. Parfois, il intercepte un signal. L'image de la caméra du drone est alors transmise sur un petit écran et nous savons immédiatement si nous devons nous cacher.

Voici l'un des derniers habitants de Pokrovsk.
Photo: Helena Graf

Toutes les minutes, nous entendons le bruit des bombes. Lorsque nous descendons de la voiture, nous apercevons un vieil homme qui pousse son vélo cabossé en direction du marché, bravant sur son passage les morceaux de verre et les éclats d'obus.

Les maisons détruites se succèdent. Les magasins vides aussi. L'homme à vélo s'arrête devant l'un d'eux. L'enseigne est méconnaissable. «Les propriétaires ont pris la fuite en décembre dernier. Puis les pilleurs sont arrivés, ils n'ont même pas laissé les portes», dit-il.

«Ils vont nous tirer dessus»

Assis sur un banc au bord de la route, un couple plus jeune, la quarantaine peut-être, nous aperçoit. La femme fouille alors dans son sac, avant de me tendre de quoi me nettoyer le visage.

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Andryi Onistrat, au côté d'Helena Graf, journaliste pour Blick, à Pokrovsk. Notre reporter a dû se déguiser en ouvrière.
Photo: Helena Graf

En fait, nous sommes déguisés en ouvriers. Je porte l'uniforme d'un cheminot ukrainien et mon traducteur celui d'un employé d'une mine de charbon proche d'ici. Il nous a délibérément mis de la suie sur les joues. «Si les drones russes remarquent que vous êtes des journalistes, ils nous tireront dessus immédiatement», nous avait prévenu Andriy Onistrat.

«Je n'ai peur ni des Russes, ni des Ukrainiens»

Apparemment, je suis la première journaliste à visiter Pokrovsk depuis plus d'un mois. Les tranchées russes se situent à environ 3 kilomètres du centre-ville. Ici, il n'y a pas d'eau courante, pas d'électricité, pas de réseau de téléphonie mobile. Les gens sont livrés à eux-mêmes. La police et les services de secours n'ont pas accès aux lieux.

«Je n'ai pas peur. Ni des Russes, ni des Ukrainiens», déclare le vieil homme. Plus tard, nous apercevons un autre habitant lui tendre une bouteille de vodka. «Ici, il n'y a que des malades mentaux et des pro-russes», lâche Andriy Onistrat.

Andrii Onistrat a combattu au côté de son fils aîné.
Photo: zVg

Ce dernier est féru de marathon et de triathlon. En général, il fait son jogging jusqu'à Pokrovsk. Quinze kilomètres aller-retour. Et il vaut mieux faire ce trajet à pied, car les drones s'en prennent régulièrement aux voitures. Lorsqu'il se trouve dans la ville, Andriy Onistrat tente de repérer des positions appropriées pour ses pilotes de drones. Avec sa fortune, il achète du matériel pour l'armée.

La douleur, il ne la connait que trop bien. Son fils aîné est mort à seulement 22 ans sur le front près de Donetsk. C'était à l'été 2023. Quand Andriy Onistrat essaie de parler de lui, les mots sortent péniblement: «Il voulait toujours être le plus courageux. C'est à cause de moi qu'il est parti à la guerre. Et c'est ma faute s'il est mort.»

«Je ne veux que la paix»

Au marché de Pokrovsk, le stand de Svetlana est le seul où l'on peut encore acheter de la nourriture. Cette ville, c'est la sienne. Elle y a passé toute sa vie. La quitter serait une trahison, estime-t-elle. «Vous pouvez dire de moi que j'attends les Russes. Mais je ne veux que la paix.» Et comment pourrait-il y avoir la paix? «Je ne sais pas. On ne peut pas regarder les infos ici», répond-elle.

Svetlana vend des produits alimentaires au marché.
Photo: Helena Graf

Des clients du marché nous remarquent. Ils regardent ma caméra avec une grimace. Je l'éteins. Un passant me dit en russe: «A cause de toi, ils vont tous nous faire sauter.» Andriy Onistrat répond: «Pourquoi voudraient-ils vous tuer?»

Nous faisons demi-tour et quittons le marché. Un homme nous suit, en criant : «Je vais d'abord t'écraser le visage, et ensuite ce sera ta caméra». Andriy Onistrat se tourne vers moi et murmure: «Ce n'est pas l'humain en lui qui parle ainsi, c'est son quotidien infernal.» Plus tard, il m'avouera qu'il était prêt à tout moment à utiliser son pistolet. «J'aurais tiré en l'air. Et si ça n'avait rien donné, j'aurais tiré dans la jambe de quelqu'un. Heureusement, je n'ai pas eu à le faire».

«Dieu m'a donné sa bénédiction»

La guerre, c'est la souffrance, la perte, la mort. Mais ce sont aussi de nombreux récits de fraternité, de sacrifice et de résistance qui aident à braver la peur. Mais pour beaucoup à Pokrovsk, tout cela n'est que chimères. Ici, la guerre montre sans cesse son visage le plus abject. Le reste, on n'a pas le temps d'y penser.

Dans l'église évangélique, on trouve deux grands réservoirs d'eau potable. Les gens remplissent leurs seaux et leurs bidons. Maria raconte que Dieu lui a ôté toute peur. «A l'église, il m'a donné sa bénédiction. A partir de là, j'ai su que tout irait bien.»

Maria a dû changer plusieurs fois de logement, les habitations étant sans cesse bombardées.
Photo: Helena Graf

Aujourd'hui, Maria vit au même endroit depuis un certain temps. Avant cela, elle a dû changer de logement à plusieurs reprises. «Un jour, alors que je voulais rentrer chez moi, mon appartement était en feu», dit-elle. «J'en ai donc cherché un autre. Puis un autre, quand le suivant a été détruit.»

«Je resterai ici jusqu'à la fin»

La famille de Maria vit à l'ouest du pays. Mais elle ne veut pas partir. «Je resterai ici jusqu'à la fin.» Elle espère des négociations et un cessez-le-feu. Elle croit en la paix. «Les prochaines générations se pardonneront et pourront à nouveau vivre ensemble», déclare-t-elle.

Nous remontons dans la voiture d'Andriy Onistrat. Nous traversons le quartier le plus dévasté de la ville. Deux soldats ukrainiens sont en train de quitter leur cachette figée dans les ruines d'une maison individuelle. 

«Mon fils avait 22 ans, il n'a connu qu'une seule femme», raconte Andriy Onistrat. Les hommes aussi jeunes ne devraient pas être envoyés sur le front, estime-t-il. Lui aussi souhaite la fin de la guerre, mais pas à n'importe quel prix. Sans garanties de sécurité, les Russes nous anéantiront.»

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