Il a battu Mike Tyson
Jake Paul, roi de l’influence et star anti-système

Cet Américain s’est d’abord fait connaître sur YouTube et Vine avec des vidéos potaches, avant de se mettre en tête de devenir champion du monde de boxe. Que ce soit à l’écran ou sur le ring, il incarne ces influenceurs hors système et leurs dérives.
Publié: 23.11.2024 à 10:26 heures
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Dernière mise à jour: 23.11.2024 à 12:16 heures
En combattant Mike Tyson vendredi 15 novembre, Jake Paul, 27 ans, a attiré 108 millions de streams à travers le monde. Mais le boxeur est d’abord un influenceur, suivi par 27 millions de personnes sur Instagram et 21 sur YouTube.
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, le programme le plus regardé sur Netflix n’était ni un film, ni une série mais bien… un match de boxe. Diffusé en direct, le combat a attiré 108 millions de personnes à travers le monde entier – dont près de 40 millions aux Etats-Unis – devenant l’événement sportif le plus streamé de l’Histoire, selon son diffuseur.

Il faut dire que sur le ring, il y avait l’une des plus grandes légendes de la boxe: Mike Tyson, 58 ans, cinquante victoires et (au moins) une oreille arrachée à son actif. «Iron Mike» faisait son grand retour face à un homme nettement moins légendaire et nettement plus jeune.

Jake Paul, 27 ans, peut pourtant se targuer d’être à l’origine d’une bonne partie des streams enregistrés cette nuit-là. Car le boxeur est d’abord un influenceur, suivi par 27 millions de personnes sur Instagram et 21 sur YouTube. Et il incarne parfaitement les parcours hors-normes de cette nouvelle espèce de stars, qui tracent leur propre voie et prennent de court les réseaux traditionnels, tout en aspirant à la même richesse démesurée que ceux qui suivent le parcours classique.

Un téléphone et trop de temps libre

Son histoire commence comme beaucoup d’histoires sur Internet: avec un téléphone et beaucoup de temps libre. Car rien ne destinait ce fils d’un agent immobilier et d’une infirmière, tous deux très chrétiens, à devenir célèbre. Sur l’application Vine, disparue depuis, Jake Paul, jeune ado né en 1997 dans l’Ohio, se filme avec son frère aîné Logan en train de se jeter en caleçon dans la neige, d’éternuer outrageusement fort en classe ou de parler à un ananas dans un supermarché.

«Il n’y a rien d’autre à faire dans l’Ohio», expliquera-t-il plus tard au «Hollywood Reporter». Rien d’autre à voir non plus, visiblement, car le grand blond dépenaillé cartonne.

De 2013 à 2015, année de fermeture de l’application, il amasse plus de cinq millions de followers et engrange des milliards de vues, tout en misant également sur YouTube. Les marques s’y intéressent, notamment Burger King, qui offre aux deux frangins de lucratifs partenariats. À 17 ans, chacun perçoit déjà des rémunérations à six chiffres. Ce qui devait au départ être un pécule pour payer des études à l’université finit par rendre l’université obsolète.

Les anciens et le moderne du divertissement

Et c’est alors que, pour la première fois, Jake Paul a l’occasion de rejoindre un cursus plus traditionnel vers la célébrité. Attiré par Hollywood, le jeune homme s’y rend pour essayer de se créer un réseau. Attiré par son audience, Disney le recrute en 2016 pour jouer dans une série, «Bizaardvark». L’histoire d’adolescents qui se lancent… dans les vidéos sur Internet.

La boucle semble presque bouclée et Jake Paul devient le premier influenceur de l’écurie Disney Channel, toujours prompte à formater des bébé stars qui, pour certaines, à l’instar de Miley Cyrus ou Zendaya, deviendront grandes en s’affranchissant du groupe.

«
Personne n’a été blessé, et nous ne faisons pas tant de bruit
Jake Paul
»

L’affaire tourne court lorsqu’en 2018, le jeune homme est viré. Disney Channel apprécie fort peu une enquête de KTLA, chaîne de télévision locale à Los Angeles, qui révèle que les voisins de l’influenceur sont au bord de la crise de nerfs. Dans sa villa de Beverly Grove, quartier cossu de la Cité des Anges, louée avec d’autres comparses YouTubeur pour la modique somme de 18’000 dollars par mois, Jake Paul a pris l’habitude d’allumer des feux dans la piscine préalablement vidée, d’organiser des fêtes gigantesques ou de faire des courses de voiture dans l’allée. Et ce n’est rien comparé aux milliers de fans qui s’amassent devant son portail pour hurler son nom, ou insulter les voisins.

Ces derniers, pour beaucoup des professionnels de la musique ou du cinéma, entament une action collective contre les intrus, rejouant la querelle des Anciens et des Modernes du divertissement. Jake Paul se défend, admet auprès du «Hollywood Reporter» que certes, la colocation a «perdu le contrôle d’un feu dans le jardin» mais «personne n’a été blessé, et nous ne faisons pas tant de bruit».

En réalité, Disney ne supporte plus non plus les vidéos de son poulain, loin des apparitions policées des acteurs et actrices dont le géant américain a l’habitude. Lorsque Jake Paul fait un doigt d’honneur ou balance des articles de sport à la figure de ses potes dans les rayons d’un magasin, les cadres du studio grincent des dents. Et finissent par baisser les bras.

Rolex, Lamborghini et ascension sociale

Si ses exploits filmés ne respirent pas l’intelligence, Jake Paul a, en revanche, un sens du business qui s’affûte. Prenant exemple sur le rappeur Dr. Dre, il étend ses affaires et développe notamment Team 10, une activité autour du management de jeunes YouTubeurs, et des marques de vêtements. Mais surtout, il ne quitte jamais les réseaux sociaux et continue les vidéos.

En 2017, l’Américain sort avec ses padawans de la Team 10 une chanson, «It’s Everyday Bro», qui résume parfaitement, tant dans son clip que dans ses paroles, l’état d’esprit de ces influenceurs de plus en plus populaires.

Photo: keystone-sda.ch

Ils y rappent la joie d’accumuler les Rolex et les Lamborghini (que l’on conduit portes ouvertes dans les rues de Los Angeles, naturellement) mais surtout celle de s’élever socialement et financièrement jusqu’au sommet, suscitant toute l’envie et la jalousie du monde sur son passage. Leur popularité se bâtit hors du système traditionnel, à l’exception d’un seul: le capitalisme, qu’ils embrassent pleinement.

Mais peu à peu, la chaîne YouTube de Jake Paul prend une autre tournure. Les vidéos de pranks sont remplacées par celles de lui poussant à la salle, les doigts d’honneur par des pompes. En 2018, le grand blond gringalet se couvre peu à peu de tatouages mais, surtout, s'épaissit jusqu’à atteindre les 103 kilos. Et révèle avoir en tête un nouvel objectif: devenir boxeur professionnel.

Le show permanent sur et en dehors du ring

Comme celui du cinéma ou de la musique avant, le monde de la boxe le prend de haut. Et comme il l’a fait dans le cinéma ou la musique avant, Jake Paul ne se contente pas de participer mais veut aussi produire, diriger, manager. Il crée une société de promotion de combats, un site de paris sportifs et une marque de soins du corps, s’occupe de la carrière de grands noms, comme la Portoricaine Amanda Serrano, l’une des plus grandes boxeuses du moment.

Et comme tout faire, c’est aussi faire n’importe quoi, il accumule toujours les frasques: une fête géante dans sa (nouvelle) villa à 8 millions de dollars pendant le Covid-19, une saisie d’armes à feu par le FBI et une amende de plus de 100’000 dollars pour avoir vanté les mérites de crypto-monnaies sur les réseaux sociaux sans préciser qu’il s’agissait d’un partenariat commercial.

«
Quand je vais botter le cul de Mike Tyson, personne ne pourra rien dire.
Jake Paul
»

Sur le ring, le «mauvais garçon», comme l’appellent désormais les médias américains, enchaîne les victoires sans véritablement convaincre les passionnés du noble art. Ses adversaires sont principalement d’anciens champions de NBA, d’autres YouTubeurs ou des catcheurs et des champions de MMA. Et ses apparitions relèvent plus du show de gala, fait pour drainer d’énormes gains, que de véritables combats sportifs. L’argent étant le nerf de la guerre, cela agace passablement un système qui sait, malgré tout, qu’il a besoin de cette visibilité.

Preuve de ce glissement du sport vers la représentation, les codes de la boxe version Jake Paul sont les mêmes que ceux du catch ou du MMA, avec cette mise en scène ultra-agressive de la rivalité. On s’insulte avant les rencontres, voire on se frappe. Pendant la dernière pesée avant leur combat, Mike Tyson assène une gifle à son futur adversaire. Qui n’en a que faire: toute publicité est bonne à prendre. «Je suis très content qu’il ait fait ça», dira d’ailleurs Jake Paul quelques minutes avant de monter sur le ring. «Quand je vais lui botter le cul, personne ne pourra rien dire.»

Comme au catch, on soigne aussi son look et on affiche une confiance en soi de la taille du Texas. «Je vais devenir champion du monde et quand cela arrivera, le cerveau des puristes de la boxe explosera. Parce qu’ils réaliseront à quel point j’étais bon tout ce temps», balance Jake Paul à la BBC, les cheveux teints en rouge et sculptés en forme de coq sur sa tête (une référence à son surnom, «el gallo»).

«C’est un jeu et je joue mieux que les autres»

Toujours auprès du média britannique, l’influenceur, qui vit désormais dans un manoir à Porto Rico avec la patineuse de vitesse néerlandaise Jutta Leerdam – et appelle à voter Donald Trump alors même qu’il ne peut plus se prononcer dans les urnes américaines depuis l’étranger – se dit incompris.

«
Il y a tellement de strates chez moi… je peux être le clown ou le passionné qui va devenir champion du monde.
Jake Paul
»

«Je suis une personne très, très complexe: je suis un entrepreneur qui détient six entreprises, je boxe, je suis sur YouTube, j’anime des podcasts, je suis spirituel, j’ai une super relation avec Dieu. Il y a tellement de strates chez moi… je peux être le clown ou le passionné qui va devenir champion du monde.»

Difficile de dire, après le combat contre Mike Tyson, s’il a réussi à convaincre les puristes qu’il atteindra cet objectif. À 58 ans, «Iron Mike» n’a pas fait le poids et n’a tenu huit rounds, diront les sceptiques, que parce que Jake Paul a retenu ses coups. Arrivé en short argenté à paillettes, le YouTubeur a été hué par la foule avant, pendant et après.

«Les commentaires sont plein de haine, d’accusations et de mensonge», regrettait-il juste avant au micro de la BBC. «Mais ils ne voient pas le génie latent dans tout ça: je suis là pour divertir et je prends mon pied. Tout ça, c’est un jeu et je joue mieux que tous les autres.» Jake Paul, en réalité, recycle dans tous les domaines ce qu’il sait faire de mieux: la mise en scène de soi, dans une société qui a décidé qu’il s’agissait d’un talent à part entière.

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