Harcèlement et tweets de robots saoudiens
Internet a-t-il influencé le procès de Johnny Depp et Amber Heard?

Dans l'affaire Amber Heard contre Johnny Depp, la moitié des tweets contre l'actrice américaine auraient été orchestrés, selon un podcast. Une campagne de harcèlement organisée a-t-elle influencé le jugement?
Publié: 22.04.2024 à 19:00 heures
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Dernière mise à jour: 22.04.2024 à 20:33 heures
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Traitée de «menteuse» et de «pute»: Amber Heard lors du procès en diffamation contre Johnny Depp.
Photo: AP
Lisa Aeschlimann Cécile Rey

«C'est une femme vénale», «une pute», «une manipulatrice narcissique», «elle a un visage que l'on aimerait frapper.» Petit florilège de commentaires destinés à l'actrice Amber Heard. Depuis le printemps 2022, la femme de 37 ans a été la cible d'un harcèlement sans précédent. A l'époque, le monde entier suivait le procès en diffamation de six semaines entre Amber Heard et son ex-mari Johnny Depp, qui s'est transformé en plus grand spectacle médiatique depuis l'affaire O.J. Simpson. 

Les détails juridiques au second plan

Après leur divorce, Amber Heard s'était exprimé dans le «Washington Post» sur la violence domestique qu'elle aurait subi de la part de son ex-mari, lequel a porté plainte à la suite de cette tribune. Le jury a finalement cru Johnny Depp et a été d'accord avec lui sur tous les points. En Grande-Bretagne, un tribunal avait considéré peu de temps auparavant que les descriptions d'Amber Heard sur la violence domestique étaient crédibles.

Les détails juridiques ont très tôt joué un rôle secondaire dans le procès américain. Au lieu de cela, une bataille en ligne pour obtenir les faveurs du public a fait rage. A la demande de l'équipe de Johnny Depp, le procès a été retransmis en direct. Six caméras ont éclairé chaque détail, des millions de personnes ont suivi le spectacle.

Le verdict a-t-il été influencé par les fans de Johnny Depp?

Johnny Depp a rapidement été perçu comme le «bon gars» un peu fou, mais attachant, Amber Heard en revanche comme une menteuse avide d'argent et d'attention. Du pain béni pour les misogynes en tout genre. Les fans de Johnny Depp ont campé devant la salle d'audience, et l'ont acclamé. Amber Heard, elle, a reçu des menaces de mort.

Dans quelle mesure cette dynamique a-t-elle influencé le jugement? C'est la question à laquelle tente de répondre le dernier épisode du podcast Tortoise Media, un portail de recherche britannique. Le journaliste Alexi Mostrous y trouve, avec l'aide d'experts, des milliers de comptes Twitter saoudiens qui célèbrent Johnny Depp et s'en prennent à Amber Heard. Ainsi, environ 800'000 tweets sont apparus avec le hashtag «AmberIsAnAbuser», mais seulement 15'000 avec «JohnnyIsAnAbuser» durant la même période.

Le harcèlement contre Amber Heard a-t-il été organisé?

Alexi Mostrous a découvert que de nombreux comptes Twitter avaient fait l'éloge du gouvernement d'Arabie saoudite quelques années auparavant. Il est intéressant de noter que Johnny Depp entretient des relations proches avec le royaume: il est ami avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, ses films «Jeanne du Barry» et «Modi» ont été en partie financés par des fonds saoudiens.

L'expert estime que près de la moitié des tweets contre Amber Heard ne sont pas «organiques», c'est-à-dire qu'ils ne sont pas authentiques. Alexi Mostrous en conclut que l'actrice a été la cible d'une campagne de harcèlement orchestrée et pose la question de savoir dans quelle mesure l'actrice a même bénéficié d'un procès équitable.

Un fléau qui dépasse Hollywood

Mais il ne s'agit pas seulement d'une histoire hollywoodienne. Le podcast met en lumière un problème plus important: que se passerait-il si les mêmes techniques que celles utilisées contre Amber Heard étaient mises en action lors d'élections ou de votations?

On sait que la Chine et la Russie tentent depuis longtemps de déstabiliser les démocraties occidentales avec des bots et des usines à trolls. Ainsi, comme l'a récemment annoncé le ministre français des Affaires européennes, l'invasion des punaises de lit à Paris à l'automne dernier avait été reprise par des comptes russes sur les réseaux sociaux. Les auteurs auraient falsifié des articles de presse et tenté d'associer le fléau à des réfugiés ukrainiens.

L'Arabie saoudite utilise également depuis longtemps des bots et des trolls sur Internet pour réduire au silence les critiques dans le pays et à l'étranger. En 2018, le journaliste du «Washington Post», Jamal Khashoggi, a été assassiné par des agents saoudiens. Une campagne de bots sur Twitter a tenté de semer le doute sur l'implication du prince héritier Mohammed ben Salmane dans ce meurtre.

Les campagnes de désinformation sont «un gros problème»

Dans une interview, le journaliste Alexi Mostrous qualifie les campagnes de désinformation de «gros problème»: une désinformation efficace repose sur un flot continu d'informations. La Russie et consorts abusent de la manière dont on consomme aujourd'hui en ligne. Ils ne diffusent pas de mensonges évidents, mais modifient de vraies informations en leur faveur. «Si nous ne faisons plus que défiler, défiler, cliquer, cliquer, nous n'aurons plus le temps de distinguer le vrai du faux», déplore Alexi Mostrous.

Dans l'affaire Depp contre Heard, un auditeur a commenté: «La vérité s'est perdue sur les réseaux sociaux il y a longtemps.» Une déclaration qui s'est avérée prophétique. Les effets de l'acharnement sont réels: alors que Johnny Depp a été honoré par une standing ovation de sept minutes au Festival de Cannes 2023, Amber Heard s'est retirée de la vie médiatique pour s'occuper de sa fille.

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