Dans sa longue robe noire signée Chanel, sourire jusqu’aux oreilles, Maïwenn a parcouru le tapis rouge du Festival de Cannes, mardi 16 mai, tenant fermement la main bagouzée de Johnny Depp. Dans une veste vert sapin, sourire jusqu’aux oreilles, Jeanne du Barry (incarnée par Maïwenn) s’accroche fermement au bras de Louis XV (Johnny Depp) dans une scène du film «Jeanne du Barry», signé de la réalisatrice française. Voici ce qu’on retiendra de l’ouverture du Festival, marquée par la polémique: l’étrange résonance entre la réalité et la fiction.
Dans son long métrage, comme dans la vie, Maïwenn revendique d’être une femme inconvenante et rebelle. Devant la caméra, c’est contre le puritanisme et les carcans de la Cour de Versailles au XVIIIe siècle qu’elle s’élève. En tant que réalisatrice, contre les mouvements féministes contemporains, qui lui reprochent de redorer le blason et la carrière de Johnny Depp, dont les violences conjugales à l’égard de son ex-femme Amber Heard ont été reconnues par la justice britannique et américaine.
Des personnages sans caractère
Cette proximité entre elle et son personnage, la cinéaste la revendique. Elle a été, dit-elle, fascinée par la maîtresse de Louis XV depuis qu’elle a vu le film «Marie-Antoinette», de Sofia Coppola. C’était alors l’actrice Asia Argento qui incarnait cette roturière, devenue courtisane, anoblie par un mariage arrangé pour pouvoir rester à Versailles auprès de son roi bien-aimé. Maïwenn s’empare du personnage pour en faire… et bien on ne sait pas trop quoi, en réalité. Jeanne Vaubernier est censée être intelligente et cultivée, en tout cas bien plus que ne le voudrait sa condition de bâtarde, fille de cuisinière. La voilà ensuite, devant Louis XV, transformée en petite chose minaudant et stupide. On nous la présente libre, peu disposée à arranger sa robe ou sa coiffure, puis inféodée à l’avis et au regard de la famille royale qui la rejette.
Maïwenn ne fait pas non plus grand-chose de son roi, dont on ne comprend jamais ce qui le lie exactement à sa favorite. Les dialogues de Johnny Depp ont été réduits au minimum pour lui éviter d’avoir trop de français à prononcer, et l’acteur n’a pas vraiment l’air de savoir ce qu’il fout là. Il donne à son Louis XV des airs plus dépressifs que transportés par l’amour. Pourquoi avoir casté une super-star américaine, qui plus est accusée de violences conjugales? «Avant d’aller voir Johnny, j’ai proposé le rôle à des acteurs français que j’adorais et ça ne s’est pas fait», répond Maïwenn en conférence de presse. Auprès de nos confrères de «Libération», elle a mentionné Gérard Depardieu. Qui parle français, lui, mais est accusé de viol et d’agressions sexuelles par 13 femmes dans une enquête de «Médiapart».
L’affaire des violences conjugales balayée…
«J’ai voulu être loyale à mon désir», poursuit la cinéaste. Comme Jeanne du Barry, qui, dans le film, couvre encore de baisers et de caresses un Louis XV défiguré par la variole. «Je voulais vibrer pour l’acteur, surtout que je jouais dedans et j’allais l’embrasser, donc je préférais un acteur sexy.» L’argument est imparable. La preuve, des gens chez Dior ont le même. Johnny Depp vient de signer avec la marque le plus gros contrat pour un parfum masculin de l’histoire: 20 millions de dollars.
La polémique glisse sur l’équipe du film comme la pluie cannoise sur les k-ways des festivaliers prévoyants. Arrivé à la conférence de presse avec une trentaine de minutes de retard, lunettes fumées sur le nez, Johnny Depp assure que tout ce qu’on raconte sur lui relève d’une «horrible fiction fantastique». «Je ne me sens pas boycotté par Hollywood parce que je ne pense pas à Hollywood. Je n’ai pas besoin d’Hollywood.», lance l’acteur, avant de se lancer dans une interminable métaphore dans laquelle on lui interdirait d’aller manger au McDo. On n’a pas tout compris, mais l’essentiel est là: «C’est curieux d’entendre parler de ‘comeback’ à mon sujet, parce que je ne suis jamais parti.»
…celle des financements saoudiens aussi
Qu’importent donc, les violences conjugales ou la tribune d’une grosse centaine d’actrices et acteurs français dénonçant un tapis rouge déroulé «aux hommes et aux femmes qui agressent». «Je ne lis pas la presse, je ne regarde pas la télé, je n’écoute pas les émissions de radio où l’on parle de mon film», assure Maïwenn. Elle balaie aussi l’autre polémique sur le co-financement du film par l’Arabie Saoudite, pays peu réputé pour son respect des femmes. «Je suis très fière que ce soit produit par les Saoudiens. Les mentalités évoluent. Je serai très fière d’aller là-bas présenter le film avec mes idées.»
On se demande bien lesquelles, cependant, tant son film en manque. S’il faut en revenir, comme le souhaitent la réalisatrice et Johnny Depp, au fond de l’affaire, c’est-à-dire au cinéma, le constat est cruel. Maïwenn s’est fait plaisir, a tourné sous les ors de Versaille, en pellicule 35 mm, enfilé des robes somptueuses et des perruques détonantes. C’est beau, mais ça ne raconte rien. La réalisatrice en a oublié d’écrire ses protagonistes et une voix-off correcte. Seul, dans cette galère, surnage Benjamin Lavernhe. L’acteur français au charme discret offre au personnage du premier valet de Louis XV la profondeur que les autres n’ont pas. «Jeanne du Barry» appartient à la pire catégorie des films présentés à Cannes: les mauvais qui ne le sont pas suffisamment pour qu’on s’en souvienne.