Certains romans disent les réalités de tous les jours bien mieux que des récits factuels. Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au quotidien Français «Le Monde», prouve avec «La petite menteuse» (Ed. L’Iconoclaste) qu’elle excelle dans les deux genres.
Son premier roman, tout juste publié, n’a pourtant rien d’une saga, ou d’une grande fresque que l’on dévore. L’art romanesque de la journaliste, qui n’avait jamais écrit de fiction jusque-là, tient dans le détail et la peinture des âmes.
«La petite menteuse» est le récit d’un mensonge qui brise la vie d’un homme, et met la justice à nu. Lisa est une victime. Son violeur, un ouvrier du bâtiment, est l’incarnation de l’accusé sexuellement frustré, aux pulsions rendues incontrôlables par le physique de l’adolescente. Mais Lisa a menti. Elle a tout inventé. Son violeur ne l’a pas violée.
Une fillette devenue femme trop tôt
Pascale Robert-Diard a eu la bonne idée de ne pas s’appesantir sur la fillette devenue femme. Elle la raconte par ses formes, son physique, ses seins qui poussent et rendent les garçons de l’école tous plus obsédés les uns que les autres. Lisa est une fille d’aujourd’hui. Un peu facile, parce que dans cette société hypersexualisée, ne pas l’être lorsque l’on ressemble déjà à une femme lui est apparue impossible. Lisa voulait plaire. Elle se sentait aimée. Les caresses des garçons la valorisaient aux yeux de ses copines.
Puis le temps du chantage est venu. L’adolescent dont elle espérait des étreintes amoureuses s’est transformé en dénonciateur. Il lui fallait briser ce cercle. Devenir une victime. Et quoi de mieux, pour y parvenir, que d’accuser un innocent?
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Tout l’intérêt de «La petite menteuse» est qu’il renvoie chaque personnage à sa responsabilité, à ses travers, à ses fautes. Lisa, l’accusatrice, veut réparer sa faute et réhabiliter le violeur condamné. Alice, l’avocate qu’elle choisit pour se déclarer coupable au moment du procès en appel, voit bien que la justice de son pays ne tourne plus rond. Marco, le violeur condamné mais innocent, est une boule de colère silencieuse, broyé par le système.
Des avocats usés par les affaires
Le portrait le plus éloquent est celui de la justice. Des magistrats qui, pour la plupart, sont des femmes. Des avocats usés par les affaires et les délais d’attente interminables des procès. Un système devenu accusatoire par la force des choses, parce que le témoignage d’une adolescente est supposé vrai.
On sent, derrière chaque phrase, l’inquiétude de cette familière des tribunaux devant le regard que notre société porte sur elle-même, en tout cas en France. Chacun y vit dans son couloir et se retrouve jugé comme tel. La fille violée est une victime. L’ouvrier violeur est un coupable. L’avocat a de plus en plus, avec son client, une relation commerciale et désabusée. Le manque de temps tue le discernement et la contradiction. La justice, comme la vie, devient à sens unique.
La mécanique du mensonge
Il ne faut pas lire «La petite menteuse» pour espérer comprendre la mécanique du mensonge chez une adolescente. L’on ne sait pas, en refermant le livre, si Lisa a menti ou s’est, en réalité, menti à elle-même.
Pascale Robert-Diard cherche à peine à l’excuser. L’adolescente, fille de parents divorcés, a appris à manipuler ceux qui l’entourent: ses parents, les garçons qu’elle sait enjoliver et satisfaire, les enseignants, les juges. Là est la différence. Celui qu’elle a décidé d’accuser ne dispose pas de ces ressorts. Il ne sait pas manipuler. La morale de l’histoire est affreuse: celle ou celui qui détient les leviers du mensonge a un boulevard devant lui dans notre société d’idées préconçues et de combats prétendument incontestables.
Le roman du doute, comme «Chien 51»
Un violeur innocent. Une victime coupable. Une avocate déboussolée. Des juges très embêtés. Des jurés qui, in fine, devront statuer. «La petite menteuse» est le roman du doute. Ce doute qui, dans un autre roman passionnant que je viens de refermer, «Chien 51» de Laurent Gaudé (Ed. Actes Sud) est le fondement de la rébellion qui nous empêche d’être asphyxiés par l’argent, les pouvoirs et la modernité soi-disant protectrice.
«Chien 51» est un roman futuriste qui dit l’autre engrenage qui nous menace: celui de sociétés si délabrées qu’elles pourront, demain, être rachetées comme une voiture de seconde main, puis soi-disant reconstruites et exploitées par des firmes capitalistes totalitaires.
Le doute, clé de notre survie? Ses deux livres le démontrent chacun à leur manière: lorsque notre capacité de douter disparaît dans les certitudes idéologiques, communautaires, financières ou technologiques, la justice vacille immédiatement. Et, avec elle, notre capacité à vivre encore ensemble.
A lire: «La petite menteuse» de Pascale Robert-Diard (Ed. L’Iconoclaste)
«Chien 51» de Laurent Gaudé (Ed. Actes Sud)