La foi catholique n’a pas dissipé les nuages et la pluie glaciale dans le ciel de Paris. Il est environ 12h30 lorsque la première messe dans la cathédrale Notre-Dame restaurée et reconstruite s’achève au son de ses huit cloches.
Isabel, une touriste brésilienne de 32 ans, s’est spontanément mise à genoux sur le bitume mouillé du quai de Montebello, de l’autre côté de la Seine. Dehors, tout est uniformément gris. Les centaines de policiers déployés sur cette partie du périmètre sécurisé ressemblent à une volée de corbeaux noirs. Mais la chaleur est dans les cœurs. Isabel rajuste son écharpe et ses cheveux trempés.
Elle vient de São Paulo. Elle vient de prononcer le «Notre Père», la prière universelle des chrétiens, en regardant les deux tours de la plus célèbre cathédrale du monde. Ce soir, elle tentera d'arracher une place pour la seconde messe prévue, à 18h30. A priori, tout est complet, mais elle croit au miracle. «On a prié pour Notre-Dame depuis cinq ans, dit-elle. Et la voilà ressuscitée.»
Retrouvailles religieuses
Tous sont dans le même état d’esprit. En cette journée de retrouvailles religieuses, alors que l’archevêque de Paris a consacré le nouvel autel de son église dans son aube ornée de grands blocs de couleurs criantes dessinée par le couturier Jean-Charles de Castebaljac, Notre-Dame est «leur» cathédrale. Elise, 49 ans, est venue de Limoges, dans le centre ouest de la France. Elle s’abrite sous son parapluie malmené par le vent avec sa fille Marie. Elise est croyante et elle le dit. Samedi soir, elle a passé six heures debout, au même endroit, près de la place Saint-Michel qui fait face à la cathédrale, dans l’espoir de «participer un peu» à sa résurrection.
Sa priorité: rentrer dès qu’elle le pourra à l’intérieur. «J’ai espéré jusqu’au dernier moment parvenir à entrer. Mais impossible. Le site de l’archevêché de Paris est sans cesse saturé», explique-t-elle. Elise repartira donc chez elle un peu frustrée. Mais heureuse à deux titres. «J’étais là. Je l’ai vu renaître de ses cendres. J’étais venue pendant le chantier. Je voulais la voir resplendissante.» Et la seconde raison? «Le pape François, dans son message lu samedi soir, s’est prononcé pour que l’accès à Notre-Dame demeure gratuit. Je suis heureuse. Elle doit rester ouverte. Ce n’est pas un musée.»
Voltaire et Victor Hugo
Paris n’est plus la capitale d’une France très catholique. Longtemps, le pays de Voltaire et de Victor Hugo, mais aussi celui des croisades et de Saint-Louis (qui rapporta des fragments de la couronne d’épines du Christ toujours conservés à Notre-Dame) a été surnommé «la fille aimée de l’Église».
Je regarde autour de moi. Peu de marchands de souvenirs pieux. Les abords de Notre-Dame n’ont rien à voir, par exemple, avec le sanctuaire catholique de Lourdes, dans le sud de la France. La France compte désormais six millions de musulmans. L’islam est la seconde religion pratiquée dans la République laïque.
Juste en face, le marché de Noël du quai de Montebello va rouvrir ses portes dès lundi. Ahmed, un commerçant de banlieue spécialisé dans les jouets en bois importés de Tunisie, a quand même fait le déplacement ce dimanche pour voir son stand, fermé ce week-end. «Personne ne peut être triste en voyant Notre-Dame resplendir à nouveau ajoute-t-il. Au contraire. C’est bon pour Paris, pour la France, pour le monde.»
Et Elon Musk?
Et Donald Trump? Et Elon Musk? Isabel rigole. Elle a bien sûr vu comme tout le monde, sur écran, le président américain lors de sa visite express à Paris, ponctuée par une rencontre non prévue avec Emmanuel Macron et le président ukrainien Volodymyr Zelensky à l’Élysée, puis par la grande cérémonie d’ouverture samedi, entre 19 heures et 21 heures 30.
Un dîner a suivi au palais présidentiel avec la quarantaine de chefs d’État ou de gouvernement présents. Impossible en revanche de savoir si Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, y a participé alors qu’il était bien à Notre-Dame, mais loin derrière le parterre de dirigeants.
Isabel n’aime pas le patron de Space X. Elle approuve l’interdiction de son réseau social X au Brésil. Pourquoi? Parce qu’elle est catholique: «Musk n’est pas un homme de foi. Il ne pense qu’à sa puissance. Comme Trump», lâche-t-elle.
Elle montre l’écran. Les évêques réunis autour du nouvel autel de Notre-Dame viennent de lire le texte de l’Évangile selon Saint-Luc, récité à travers le monde ce 8 décembre dans toutes les églises catholiques: «Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis; et tout être vivant verra le salut de Dieu.» Notre interlocutrice fait le signe de croix: «Dieu ne veut pas d’un monde dominé par la technologie et l’argent, donc par la folie des hommes.»
850 millions d’euros collectés
A quelques minutes de marche, au collège des Bernardins, l’héritage de Notre-Dame se lit sur les visages des centaines de gens modestes, ou sans domicile fixe, pour lesquels l’église catholique de Paris a organisé un déjeuner. Le pape François a aussi envoyé un court message, lu dans ce bâtiment austère de style roman, loin des dentelles de pierre de Notre-Dame de Paris et de la flèche de l’architecte Viollet-Le Duc (mort le 17 septembre 1879 à Lausanne, où il restaura la cathédrale) qui pointe à nouveau vers le ciel. La cathédrale de Paris est ressuscitée.
Les 850 millions d’euros collectés à travers le monde – il en reste 150 après les travaux, pas complètement achevés – ont accouché d’un miracle architectural. L’humanité, elle, va continuer de panser ses blessures.