Pourra-t-il finir son mandat?
Macron au Bürgenstock, un président qui arrive politiquement démonétisé

Le président français fera escale samedi au sommet pour la paix en Ukraine du Bürgenstock. Mais peut-il encore influer sur les événements internationaux, alors que son pays s'apprête à revoter?
Publié: 15.06.2024 à 12:47 heures
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Le président français a retrouvé au G7 l'atmosphère internationale qu'il affectionne.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Que vaut encore Emmanuel Macron sur la scène internationale? Que peut peser le président français alors qu’il pourrait, dès le 7 juillet, se retrouver isolé dans son palais de l’Élysée, contraint de nommer un premier ministre issu de la force politique la plus ascendante du moment dans son pays, le Rassemblement national?

Cette question s’est posée au G7, le sommet des pays les plus riches du monde, qui vient de s’achever à Bari, en Italie, sous la présidence de Giorgia Meloni. Bien sûr, personne n’a fait la moindre remarque en public à Emmanuel Macron, venu confirmer le soutien de la France à la mesure la plus importante prise durant cette réunion: le déblocage d’un prêt de 50 milliards à l’Ukraine, qui sera remboursé grâce aux intérêts produits par les actifs russes gelés depuis l’invasion du 24 février 2022.

Rishi Sunak, lui aussi très faible

Bien sûr, Macron n’était pas le seul, lors de ce sommet, à être mal en point sur le plan politique: le premier ministre conservateur britannique Rishi Sunak est en effet donné largement perdant aux prochaines élections législatives dans son pays, le 4 juillet.

Pour Emmanuel Macron, alias «Jupiter», l’affaire est toutefois plus compliquée. Et elle risque de s’aggraver encore lors de sa courte escale d’une journée, samedi, au sommet pour la paix en Ukraine accueilli par la Suisse au Bürgenstock. Pour rappel, le président français, qui est aussi chef des armées, défend depuis plusieurs semaines l’envoi possible d’instructeurs militaires alliés en Ukraine, afin d’y former une brigade d’environ 4500 soldats.

L’Europe mortelle

Il a aussi annoncé, au soir des commémorations du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, la cession d’avions de chasse Mirage 2000-5 pour équiper l’armée de l’air ukrainienne. Il s’est au fond positionné, depuis son discours du 26 avril à la Sorbonne, comme le défenseur d’une «Europe qui est mortelle» face à la Russie. Un président tenté par la posture de chef de guerre, dont la position à domicile vient d’être considérablement affaiblie par sa cinglante défaite aux élections européennes, à l’issue desquelles son parti remporte 15% des suffrages, soit moitié moins que les 32% de la liste du Rassemblement national…

C’est donc un président démonétisé qui va participer aux pourparlers destinés, en Suisse, à préparer une possible future paix en Ukraine. Attention: aucune de ses prérogatives régaliennes n'est directement affectée par sa décision de dissoudre, le 9 juin au soir, l’Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives les 30 juin et 7 juillet. Emmanuel Macron conserve tous les pouvoirs que lui confère la constitution de la Vᵉ République, qui fait de lui sans doute le chef de l’État élu démocratiquement le plus puissant de la planète, en termes d’attributions.

Chef des armées

Comme chef des armées, il est l’ultime décideur de l’emploi de la force nucléaire. Il est aussi celui qui nomme le premier ministre, qu’il peut ensuite révoquer à sa guise. On sait également qu’en France, l’Assemblée nationale a moins de pouvoirs que la plupart des parlements européens. En théorie, Macron n’a pas besoin, par exemple, d’obtenir l’aval d’une majorité de députés pour envoyer des soldats combattre à l’étranger. Il peut le décider seul, puis consulter la représentation nationale.

Reste l’évidence: la force politique la plus influente du moment, le RN national-populiste de Marine Le Pen, a longtemps prôné la sortie de l’OTAN, l’Alliance atlantique. Les connexions pro-russes de cette formation qui fut jadis financée par des prêts obtenus via des banques russes, sont clairement établies. Or le RN pourrait devenir, le 7 juillet, la première force politique à l’Assemblée (les projections lui donnent entre 220 et 280 députés, alors qu’il en faut 289 pour la majorité absolue).

Bientôt, le «Front populaire»

Idem à gauche. Le «Front Populaire» tout juste constitué, alliance électorale de tous les partis de gauche, a beau avoir adopté un programme de soutien inconditionnel à l’Ukraine, sa puissante frange radicale de La France Insoumise (LFI) est très anti-américaine, et peu favorable à une Europe de la défense puissante, comme le souhaite le président. Difficile, dès lors, d’imaginer, sauf s’il sort nettement vainqueur du scrutin – ce qu’aucun sondage ne prédit – un Emmanuel Macron avec les mains complètement libres le 7 juillet au soir.

L’autre réalité est celle des chiffres. L’économie française pourrait se retrouver affectée par les convulsions politiques en cours. Le dérapage du déficit budgétaire a d’ailleurs été sanctionné, le 3 juin, par une dégradation d’un cran de la note de la France par S&P, la première agence mondiale de notation financière. Or qui dit soutien à l’Ukraine, comme cela sera discuté au Bürgenstock, dit appui financier durable. Il faudra donc insérer cela dans un prochain budget, que les forces dominantes au Parlement français voteront, ou non. Ajoutons une information: la Commission européenne devrait déclencher, le 19 juin, une procédure contre la France pour «déficit excessif». Rien de dramatique, mais le feu passera à l’orange.

Au pouvoir jusqu’en 2027

Emmanuel Macron arrive, au Bürgenstock, dans la position d’un président certes assuré de rester au pouvoir jusqu’en mai 2027, mais démonétisé par la perte possible de sa majorité, et par le fait qu’il ne pourra pas se représenter pour un troisième mandat. Un président «lameduck» ou «canard boiteux» comme on dit aux États-Unis.

Cela ne l’empêchera pas de plaider pour l’Ukraine, pour l’envoi d’instructeurs, ou pour un renforcement du pilier européen au sein de l’OTAN. Mais beaucoup de pointillés ponctuent désormais ses interventions. Exemple: que dira-t-il, du 9 au 11 juillet à Washington, au sommet du 75ᵉ anniversaire de l’OTAN s’il doit faire face, en France, à une Assemblée majoritairement hostile envers cette alliance dont dépend, de facto, la sécurité du continent européen?

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