Il y a deux façons de gagner au poker. La première est d’avoir en main les meilleurs atouts. La seconde est de bluffer et d’espérer que l’adversaire ne s’en rendra pas compte, ou finira par perdre pied. Entre ces deux versions, Emmanuel Macron n’a pas complètement tranché avec sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale dès l’annonce de la défaite de son camp aux élections européennes. Ce président en poste depuis 2017 pense qu’il garde les meilleures cartes. Mais il assume aussi une large part de bluff, face à la montée apparemment inexorable du Rassemblement national, grand vainqueur ce dimanche.
Le problème est que cette fois, et particulièrement en ce moment, les électeurs français ne sont pas les seuls à se trouver conviés à cette partie de poker politique à hauts risques. Emmanuel Macron l’a dit lui-même à plusieurs reprises, depuis son second discours prononcé à la Sorbonne, le 25 avril: «Notre Europe est mortelle.»
Danger maximal le 30 juin
Si tel est le cas, alors le danger qui pointe à l’horizon du 30 juin, premier tour des législatives, est immense pour l’Union européenne. Une victoire de l’extrême droite en France, qui verrait celle-ci revendiquer logiquement l’exercice du pouvoir, ferait trembler l’UE sur ses fondations. Alors qu’à Moscou, un certain Vladimir Poutine serait absolument ravi de voir certains de ses amis s’installer aux commandes de la seule puissance nucléaire de l’Union, même si la constitution permet au Chef de l’État, même battu, de rester en place jusqu’en 2027.
Emmanuel Macron porte là une responsabilité qui dépasse donc les frontières de la France. En polarisant à l’extrême le débat politique national, en misant sur la disruption plutôt que sur la réconciliation, en réformant avec brutalité parce qu’il estime que jamais ses concitoyens (ces «Gaulois réfractaires») n’accepteront une négociation en bonne et due forme, ce président si doué dans l’analyse et dans le décryptage des enjeux mondiaux a transformé son propre pays en cobaye de ce qui ne fonctionne plus.
Des Français proeuropéens
Oui, les Français se sentent majoritairement européens. Mais non, ils ne comprennent plus pourquoi l’Europe fonctionne ainsi. Et non, ils n’acceptent pas d’être dépossédés, sans retours tangibles, de leur souveraineté nationale mythifiée par le gaullisme dans lequel même Marine Le Pen a décidé de se lover, elle, l’héritière des putschistes de l’Algérie française qui voulaient tuer le Général!
Macron a voulu aller vite. Très vite. Il a changé brutalement d’avis sur Vladimir Poutine. Il veut maintenant être le leader d’une coalition d’instructeurs militaires de l’armée ukrainienne. Tout cela découle, souvent, d’une bonne analyse des rapports de force. Son plaidoyer pour une Europe puissance, souveraine sur le plan militaire, avec de solides industries de défense, ne manque pas de bons arguments. Mais revoilà qu’il plonge le pays, avec cette dissolution, dans un face-à-face démocratique national aussi salutaire (parce que redonner la parole au peuple est normal) que dangereux (parce que celui-ci se prononcera immanquablement pour ou contre Macron).
Écouter les autres
Être européen veut dire écouter les autres, comprendre ses partenaires, s’adapter à leur rythme et aussi ne pas les prendre en otages de vos décisions et de vos comportements. Cela, Emmanuel Macron ne l’a jamais envisagé. Sa décision de revenir aux urnes, qui pourrait peut-être signer ensuite son départ de l’Élysée, est d’abord celle d’un dirigeant qui raisonne en termes de rapports de force, et mise aujourd’hui sur l’échec de ses opposants plutôt que sur sa victoire et sa propre capacité de conviction. C’est le drame. Macron va sans doute encore répéter que «notre Europe est mortelle». Il a peut-être raison. Mais la preuve est faite qu’il a, par son comportement et son mode de présidence, une part de responsabilité dans cet engrenage potentiellement fatal.