Je vais vous raconter ma journée au pays de «Jupiter». «Jupiter», vous vous souvenez? C’était au début de son premier mandat le surnom d’Emmanuel Macron. Ce tout jeune président de 37 ans venait d’accéder à l’Élysée. Il croyait pouvoir tout changer, tout décider, tout transformer, tout faire exploser.
Et bien je vais vous faire une confidence: «Jupiter» n’a pas changé. Il vient de nous le montrer ce mercredi, avec sa conférence de presse assez surréaliste, du moins pour les observateurs qui ne passent pas leur temps dans le (petit) bain médiatique et politique français.
Jugez plutôt: il décide dimanche soit de dissoudre l’Assemblée nationale. Et le voici, deux jours plus tard, dans une salle proche de l’Élysée, à décliner les cinq axes du programme de campagne sous le slogan «Ensemble». Alors que les électeurs viennent de lui infliger un camouflet sans précédent en accordant 50% des voix à des formations de droite et de gauche radicales!
Une journée chez «Jupiter»
Comment se passe une journée chez «Jupiter»? Elle commence par une convocation reçue mardi en fin de journée, après un suspense sur l’organisation possible d’une conférence de presse ce jour-là. Toute la journée, tout le monde a attendu, le regard collé sur l’écran de son portable. «Alors, c’est pour quand?» Même sur le plateau de la chaîne LCI, entre deux interventions, chacun scrutait le petit écran.
Car «Jupiter» fonctionne comme ça: en petit comité. Personne autour de lui ou presque. «Le Monde» l’a raconté dans un article très informé et édifiant. Dissoudre l’Assemblée nationale, c’est-à-dire renvoyer les 577 députés devant leurs électeurs et le «peuple souverain» (ainsi parle «Jupiter» en campagne) lui a pris à peine quelques heures de réflexion à cinq ou six conseillers. Peut-être moins.
En France, le président peut tout faire ou presque. Même Joe Biden, l’octogénaire surpuissant de la Maison-Blanche, n’a pas tous ces pouvoirs. «Je crois qu’il va essayer d’appuyer sur tous ses boutons avant la fin de son mandat» rigolait, ce mercredi, un vétéran du journalisme politique français. C’est dire…
Place de la Concorde
Nous voici donc à patienter dans une rue proche de la place de La Concorde. «Jupiter» aime son quartier présidentiel. L’Élysée est à deux pas. Si nous étions en Suisse, il serait venu à pied. Mais nous sommes à Paris, où chaque rue, dans ce quartier, est barrée par un échafaudage ou des travaux liés aux Jeux Olympiques. Nous voilà donc, à 9 heures 30 du matin, à attendre avec le correspondant du «New York Times» et celle de «La Repubblica», au milieu d’une foule de collègues bardés de matériel.
Les sacs doivent être vérifiés par les chiens renifleurs. «Jupiter» est protégé comme jamais. On va parler démocratie, transparence, liberté, choix populaire. Mais tout se passe comme dans une monarchie. Les ministres sont déjà arrivés par une porte dérobée. Ils ont l’habitude. Leurs chaises sont réservées, en bas à droite de la tribune. Chacun sa chaise. Ils papotent avec les reporters. Le Premier ministre Gabriel Attal est raide comme un piquet. Logique. Il ne savait pas que son patron allait dissoudre l’Assemblée. Le revoilà, lui aussi, renvoyé devant les urnes dans sa circonscription de Vanves, au sud de Paris.
«Emily» et Paris
Vous aimez les séries télévisées? Vous pensez que Paris ressemble à la capitale coquette parcourue par «Emily» l’Américaine? Et bien, rien de tout ça. La démocratie en France n’est pas une affaire tendre. Il y a un homme, tout en haut, élu au suffrage universel, qui distribue les bons et les mauvais points. Cette fois, tous les mauvais points ont été rassemblés dans une sorte de bombe à fragmentation politique qu’il vient de lancer depuis son palais présidentiel. Feu sur le Rassemblement national.
Feu sur le «Front populaire», cette alliance électorale conclue à la va-vite entre tous les partis de gauche pour riposter à cette grande mobilisation électorale. Feu sur Éric Ciotti, le député de la région niçoise qui vient de pactiser avec Le Pen et Bardella pour sauver son mandat, et celui de pas mal d’autres élus conservateurs.
J’ai Emmanuel Macron dans mon viseur. Je suis assis au milieu de cette salle de l’espace «Cambon Capucines». J’ai levé le doigt au moins dix fois. Pas possible. Une seule question ira à la presse étrangère, posée par celle qui interviewe le président presque tous les deux ans: la brillante correspondante de «The Economist», cet hebdomadaire que Macron adore lire.
Je pourrai vous raconter tout cela avec plus de détails encore. Je pourrai vous dire que personne ne croit à la victoire du camp présidentiel. Je pourrai vous décrire la silhouette des deux conseillers les plus influents de «Jupiter». Le premier est un ancien journaliste, chargé de ses discours mémoriels qu’il affectionne: Bruno Roger-Petit. Le second est le communicant qui, dit-on, a le plus gros carnet d’adresses de la capitale française: Clément Léonarduzzi.
Cela fait bien rire, d’ailleurs, mon ami Paolo Levi, de l’agence italienne Ansa. «Tout ça, dit-il en souriant, est une affaire de Ritals.» Explication: Jordan Bardella, le jeune leader du RN, est d’origine italienne. Leonarduzzi a sans doute un peu de sang transalpin aussi. Et Éric Ciotti, le député de droite par qui l’implosion du camp conservateur arrive, a également quelque chose d’italien...
Marcher sur l’eau
Voici comment «Jupiter» fonctionne. Du haut vers le bas. En répétant les promesses entendues tant de fois. Sûr de son bilan et de ses réformes. Prêt à redécouper les régions françaises dont la morphologie avait déjà changé en 2013, sous François Hollande. C’est ainsi que va la démocratie française. Je vais vous raconter tout ça durant ces trois semaines de campagne pour les législatives.
Un sprint. Un décollage vertical. Avant, peut-être, l’atterrissage forcé en plein désert politique pour «Jupiter». Pas grave, il l’a redit aujourd’hui. Il restera à son poste. Président protecteur d’un peuple qui pourrait bien le sanctionner version XXL. A moins qu’il ne gagne son pari. Alors, il pourra voler au-dessus de nos têtes. Ou bien marcher sur l’eau. A Paris, plus personne ne serait étonné.
Incroyable France, ce pays où «Jupiter» décide et parle encore comme ça.