«Un simple coup de communication.» Le collaborateur de Marine Le Pen qui nous lâche cette formule au téléphone en est persuadé: Gabriel Attal, 34 ans, ne doit sa nomination au poste de Premier ministre qu’à l’engouement des médias. «Il ne connaît pas la France réelle. C’est un pur parisien, un produit de l’élite qui a oublié le peuple.»
Le coup fait mal. Logique. Le Rassemblement national (RN) a besoin de déstabiliser au plus vite le nouveau chef du gouvernement. Pas question de lui laisser l’initiative, à moins de six mois des élections européennes du 9 juin pour lesquelles l’extrême-droite est donnée largement en tête par les sondages.
A lire aussi sur la France
Coupe de comm? Pas faux. Gabriel Attal parle bien. Il a su faire de son homosexualité revendiquée, sans être ostentatoire, un argument de modernité. Il cultive les réseaux qui comptent à Paris. Mais il a su aussi, depuis son arrivée au ministère de l’Éducation nationale en juillet 2023, entretenir de bons rapports avec les puissants syndicats d’enseignants, séduits par sa défense intransigeante de la discipline et de la laïcité.
Il imprime dans l’opinion
Grâce à eux, et grâce à ses nombreuses visites d’établissements scolaires, le trentenaire a appris à découvrir ce pays empêtré dans ses colères et ses frustrations. Avec l’avantage de pouvoir compter sur tous ceux qui, à la sortie des classes, en province, voient paradoxalement en lui un «gendre idéal».
«Les Français aiment les politiciens intelligents et qui affirment leurs valeurs, nous expliquait en décembre le politologue Gaël Slimane. C’est le cas de Gabriel Attal, il imprime dans l’opinion.» Alors, nous disait-il simultanément, que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin restait relégué en fin de peloton dans les enquêtes d’opinion, malgré son parcours méritocratique d’enfant de famille modeste du nord de la France.
Un pur apparatchik
Là réside l’un des secrets de Gabriel Attal: avoir su faire oublier, au fil des postes ministériels occupés depuis 2017 (porte-parole du gouvernement, Comptes publics, Éducation nationale et Jeunesse) qu’il est un pur apparatchik. La politique? Il ne connaît que ça. Mais à la différence de nombreux élus, le nouveau Premier ministre n’est pas un énarque, ni un Haut-fonctionnaire. Il a commencé sa carrière comme conseiller ministériel. Il connaît les blocages inhérents à l’administration.
L’un des anciens professeurs, à la très chic École alsacienne de Paris, loue «sa capacité à accoucher de solutions». Dans ce lycée, il était détesté par Juan Branco, aujourd’hui avocat et idole d’une frange de la gauche radicale. Ce dernier l’a poursuivi de sa hargne dans un livre «Crépuscule», publié au moment de la crise des Gilets jaunes. Comment Attal a riposté? «Il a laissé faire en soulignant la blessure ressentie, alors que son père était mourant. Il a juste raisonné de façon affective. Ceux qui le traitent de manipulateur en ont été pour leurs frais.»
Un séducteur
L’autre force du nouveau locataire de l’Hôtel Matignon est qu’il est un séducteur, au sens propre comme au sens figuré. Son ancien compagnon est Stéphane Séjourné, leader des députés européens Renew (pro-Macron) et conseiller politique du président. Leur séparation ne les a pas empêchés de garder des liens étroits.
Gabriel Attal s’est ensuite rapproché de l’ex-ministre de la Santé Olivier Véran. Il a su tisser, tout au long des deux mandats présidentiels, une toile d’influence qui lui vaut aussi d’être convié à dîner par des grands patrons depuis son passage au ministère du Budget. Avantage: cette fonction lui a permis de tout comprendre de la mécanique financière de l’État endetté à hauteur de 133% du PIB. Il connaît les contraintes économiques qui pèsent sur le pays. Il sait que les caisses sont presque vides, comme l’a encore répété lundi 8 janvier le ministre des Finances Bruno Le Maire.
«Gros bosseur»
Dernier atout dans la manche de ce «gros bosseur», à la fois pédagogue et rapide: Attal n’est pas un idéologue. C’est un pragmatique qui n’aime pas la provocation, à l’inverse d’un certain Emmanuel Macron. «Il n’a pas le goût du coup de boule comme le président. Macron provoque. Il est toujours dans le rapport de forces. Attal est plus soucieux d’économiser ses forces. Il ne fait pas pleuvoir un déluge de SMS à deux heures du matin sur ses collaborateurs.»
Cela suffira-t-il pour parer les coups de tous ceux, comme les ministres Le Maire, Darmanin ou Lecornu (Défense) qui le voient passer devant eux en accédant à Matignon? Pas sûr. Un autre politologue, Pascal Perrineau, nous confiait avant Noël. «Attal a toujours joué en attaque. Il va lui falloir jouer en défense pour se protéger.» Le plus jeune Premier ministre français de l’histoire, devant Laurent Fabius à 37 ans (1984-1984) va devoir vite, s’il veut survivre, se concilier les vieux grognards politiques. Et constituer autour de lui une garde rapprochée.