Les caisses sont vides
Macron veut armer la France, mais avec quel argent?

Le président français l'a répété au Forum de Paris sur la sécurité et la défense, qui s'est ouvert mardi 11 mars. Il faut plus de commandes publiques pour les industriels de l'armement. Mais avec quel argent, dans un pays aux poches cruellement vides?
Publié: 06:21 heures
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Dernière mise à jour: 09:43 heures
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Le Président français a réuni les chefs d'état-major de 31 pays à Paris ce mardi 11 mars.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Davantage de canons, de tanks, d’avions de chasse, de missiles et de drones, mais pas d’argent dans les caisses de l’Etat pour régler les factures à venir. La France peut s’enorgueillir d’avoir été la première, dès l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, à alerter sur la nécessité d’une défense européenne plus puissante et plus autonome. Mais encore faut-il pouvoir se la payer…Un résolution sur l'Ukraine débattue à l'Assemblée nationale ce mercredi 12 mars sera l'occasion assurée d'un débat houleux sur cette question du réarmement français.

Le chiffre est annoncé. Il l’a été mardi 11 mars par le ministre de la Défense Sébastien Lecornu en ouverture du Forum de Paris durant lequel une réunion des chefs d’état-major de la plupart des pays de l’Union européenne et de leurs alliés (la Suisse n’était pas représentée) a été organisée. Le futur budget des armées françaises devrait idéalement passer, d’ici à 2030, à cent milliards d’euros par an, contre 50,5 milliards en 2025, hors paiement des retraites.

Cent milliards d’euros

Cent milliards, soit dix fois moins que l’actuel budget de la défense des Etats-Unis (environ 970 milliards de dollars en 2024), mais un bond qui, au niveau européen, ferait passer Paris dans la cour des grands. Avec 100 milliards investis par an, la France consacrerait près de 4% de son produit intérieur bruit à sa défense, soit le double d’aujourd’hui.

Une aubaine pour ses industriels du secteur, comme l’avionneur Dassault (producteur du Rafale) ou l’artilleur Nexter (producteur du canon Caesar, très utilisé en Ukraine). D’autant que l’ensemble des pays européens sont d’accord pour augmenter leurs dépenses militaires, sous la pression de Donald Trump qui exige désormais des alliés des Etats-Unis au sein de l’OTAN (l’Alliance atlantique) qu’ils y consacrent au moins 5% de leur PIB.

Où trouver cet argent?

Mais où trouver cet argent? Et, surtout, comment faire pour que cet effort budgétaire ne creuse pas encore plus la dette publique déjà record, au-delà des 3300 milliards d’euros. Laquelle oblige la République à payer chaque année 60 milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers, soit plus que l’actuel budget de ses armées.

L’inventaire des possibilités financières est donc indispensable à quelques jours d’un prochain sommet européen, les 20 et 21 mars, durant lequel les modalités de possibles emprunts communautaires (ou emprunts gagés sur le budget de l’UE) seront précisées, afin d’atteindre les deux chiffres brandis par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen: 150 milliards d’euros à trouver rapidement, et 800 milliards d’euros à moyen terme.

L’option de la dette

L’option 1 est celle de la dette européenne. Elle plaît bien sûr à tous ceux qui ne veulent pas imposer d’efforts financiers aux Français. Sauf que l’endettement européen ne veut rien dire. A la fin, chaque pays de l’UE doit rembourser sa part… en contribuant au budget communautaire, (à moins de créer plus de ressources propres, dont de taxer davantage). A titre d’exemple: la commission a emprunté 390 milliards d’euros sur les marchés pour son plan Next Generation EU durant la pandémie. Premiers remboursements à partir de 2028.

L’option 2 est celle de la ponction dans l’épargne des Français, sous une forme ou sous une autre. Le pays est endetté, mais sa population a des réserves. Le chiffre le plus souvent cité est de 6000 milliards d’euros «dormants» sous diverses formes sur les comptes en banque. Faut-il réorienter une partie de l’épargne consacrée au logement? Ou solliciter la Caisse des dépôts et consignations qui gère 1360 milliards d’euros?

Impôt ou emprunt national

L’option 3 est celle de l’impôt, qu’Emmanuel Macron a déjà écarté dans un pays champion du monde des prélèvements obligatoires (45,6% PIB).

D’où une autre solution possible: l’emprunt national. Un grand emprunt comme la France en a connu après la guerre de 1870 contre l’Allemagne, après la Première Guerre mondiale, après la libération de 1944, puis en 1952 (emprunt Pinay), en 1972 (emprunt Giscard), en 1977 (emprunt Barre), en 1983 (emprunt Mauroy) et en 1993 (emprunt Balladur). L’avantage de cette formule est qu’elle mobiliserait la population française dans un élan patriotique. Elle éviterait le recours aux marchés financiers internationaux. Mais la dette, en revanche, continuerait de se creuser.

Couper dans les dépenses

Pour le reste? Impossible, dans tous les cas, de revoir les équations budgétaires en faveur de la défense sans couper d’autres dépenses publiques. Avec, dans le viseur, les dépenses sociales qui représentent en France environ 30% du PIB soit 880 milliards d’euros. Les discussions actuelles sur une renégociation de la réforme des retraites entrée en vigueur en. 2023 vont se retrouver à coup sûr impactées. La question d’une nouvelle réforme de l’assurance chômage destinée à limiter les prestations (les plus généreuses d’Europe) se retrouve sur la table.

Certains estiment même le moment venu pour revenir en arrière sur les 35 heures de travail hebdomadaires en place depuis 1998. Le secteur de la culture redoute aussi le pire. Et les deux partis de droite et gauche radicale (le Rassemblement national et La France insoumise) font ouvertement campagne contre une augmentation des dépenses d’armement destinées, entre autres, à soutenir l’effort de guerre en Ukraine.

Plus de canons? Oui. Mais sans argent, pas de commandes publiques. Et sans commandes publiques accrues, de la part de la France et de ses partenaires, pas de synergies européennes possibles et donc, par d’industrie européenne de l’armement capable de concurrencer les Etats-Unis.

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