Le philosophe a reçu Blick
Finkielkraut tape fort: «La vie intellectuelle en France est devenue quasi irrespirable»

Blick a longuement échangé avec Alain Finkielkraut sur l'actualité. De l'Ukraine au Proche-Orient, le philosophe français réaffirme ses positions souvent controversées. Il est ce mercredi soir l'invité du «Poing», sur Léman Bleu.
Publié: 20.03.2024 à 21:01 heures
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Dernière mise à jour: 22.03.2024 à 14:00 heures
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il se bat contre le wokisme qu’il considère comme une menace. Il anime depuis des décennies l’émission culte «Répliques», chaque samedi, sur France Culture. Il vient de publier «Les pêcheurs de perles» (Ed. Gallimard), une fresque culturelle et philosophique. Alain Finkielkraut participe ce mercredi 20 mars à l’émission «Le Poing» sur la chaîne genevoise Léman Bleu. Entretien.

La Suisse, cela évoque quoi pour vous?
J’y suis venu souvent lorsque j’étais enfant et adolescent. Pour les vacances d’été ou d’hiver. Mais le lien qui me rapproche sans doute le plus de la Suisse est le goût du débat et de l’échange. On peut encore y débattre sans sombrer dans l’anathème et l’insulte. Je pense que le succès télévisuel de Darius Rochebin en France reflète cette différence de traitement de l’information. Quelle chance!

Et à part ce goût du pluralisme?
La Suisse a eu raison de poser, avant tout le monde, la question du contrôle des frontières comme attribut essentiel de la souveraineté. Nous sommes face à des flux migratoires tels que nous ne maîtrisons plus rien. Cela fait que des intellectuels comme moi, réalistes, sont accusés des pires turpitudes, de discrimination et de racisme. La Suisse a osé mettre sur la table l’idée de préférence nationale. On n’y est pas frappé d’opprobre lorsqu’on parle de nation, ou lorsque l’on reconnaît les différences entre les autochtones et les étrangers.

Parce qu’en France, ce n’est pas comme ça?
La vie intellectuelle en France est devenue quasi irrespirable. L’essayiste Daniel Lindenberg a, selon moi, contribué à déclencher cette détérioration de l’atmosphère intellectuelle avec son livre publié en 2022, «Le rappel à l’ordre». L’adversaire est devenu l’ennemi. La conversation civique est devenue taboue, impossible. Les listes noires de soi-disant islamophobes ont commencé à être dressées. Et depuis, il est impossible de sortir de ce tunnel.

On vous traite régulièrement de rétrograde ou de réactionnaire. Il est vrai que votre livre réhabilite la nostalgie…
Je l’assume. La nostalgie est une dimension essentielle de l’existence dont on voudrait nous priver. Je ne dis pas que nous devons sans cesse regarder derrière nous. Je dis que l’on ne doit pas avoir honte de reconnaître que dans pas mal de domaines, c’était mieux avant. Est-ce condamnable parce que l’on regrette le monde d’avant, ethniquement et socialement beaucoup plus homogène, et parce que l’on a des doutes sur le monde de la diversité heureuse? Je déteste le chantage insupportable et grotesque qui nous oblige à dire du bien du monde d’aujourd’hui.

Donc, non à la modernité?
Ne me faites pas dire ça. Je ne le pense absolument pas. Il y a des aspects du monde moderne dont je reconnais volontiers les bienfaits. Nul ne peut nier les progrès de la médecine. Je ne suis pas ingrat. Je serais déjà mort si j’étais né et si j’avais vécu il y a longtemps. Je suis juste accablé, comme le philosophe Walter Benjamin, des catastrophes causées lorsque les choses suivent leurs cours, entraînées dans des processus techniques et démographiques désespérants.

Et l’Europe, elle vous inspire?
«Ce qui me vient à l’esprit quand on parle d’Europe, c’est une civilisation et un passé» disait Milan Kundera. Je suis d’accord. J’ai la nostalgie de cette Europe. On se présente toujours comme des innovateurs politiques, pour avoir mis sur pied l’Union européenne. Nous nous devons aussi savoir être des héritiers.

Vladimir Poutine est un danger pour notre Europe?
Oui. La situation en Europe a beaucoup changé avec l’agressivité actuelle du Kremlin. Nous avons renoncé, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à désigner l’ennemi. C’est l’ennemi qui nous désignait. Maintenant, cela a changé. Poutine ne fait pas mystère de ses intentions et de son idéologie. Il a déclaré la guerre à l’Ukraine, à l’OTAN et à l’Europe. Je suis d’accord avec l’objectif énoncé par Emmanuel Macron et la plupart des dirigeants européens: il faut tout faire pour l’empêcher de gagner en Ukraine.

La Russie n’en reste pas moins un grand pays, porteur d’une grande culture?
Il ne s’agit nullement, pour nous Européens, de revendiquer une civilisation supérieure aux autres. C’est le contraire avec Poutine. Il défend le droit de la civilisation russe à exercer une domination impériale. Il s’appuie sur la nostalgie du passé grand-russe, pour reculer toujours ses frontières. La nostalgie dont je parle, et pour laquelle j’éprouve de l’affection, n’a rien à voir avec celle que manipule Vladimir Poutine.

Revenons-en à la France. A Sciences Po Paris, l’antisémitisme gagne du terrain?
Ce qui s’est passé récemment à Sciences Po reflète ce qui se passe sur de nombreux campus. Un antisémitisme furieux sévit dans de nombreuses universités européennes et américaines. Et après le 7 octobre, cet antisémitisme s’est déployé sans limites. Des étudiants croient bon de rebaptiser un amphithéâtre Gaza! Ils ne le font pas pour peser sur le conflit, mais pour influencer le gouvernement français et pour clamer, toutes affaires cessantes, leur haine d’Israël, Etat présenté comme colonialiste et génocidaire. Nous vivons là selon moi le dernier épisode du wokisme, qui réduit le monde à un affrontement entre dominants et dominés. Or depuis 1967, dans cette typologie, Israël est du côté des dominants. Contre Israël, contre la majorité des juifs et contre les sionistes, tous les coups sont permis.

Israël est en position d’accusé après sept mois de guerre. Qu’en dites-vous?
Je dis qu’Israël n’a aucune responsabilité dans le pogrom du 7 octobre. Il ne s’agit pas d’un acte de résistance à l’oppression et à l’occupation. Gaza n’est plus sous occupation depuis 2005. Ce n’est pas la faute d’Israël si le Hamas a choisi la voie du djihad en construisant des tunnels et en accumulant les armes, plutôt que d’assurer une vie décente à sa population. Attention: je ne soutiens pas inconditionnellement la politique d’Israël. Je dénonce les extrémistes avec qui Netanyahu a choisi de gouverner. Ils ne sont pas les héritiers de Ben Gourion ou de Rabin, mais les héritiers de l’assassin de Rabin. Ils me font peur et ils me font honte. En revanche, dire que la guerre à Gaza est génocidaire est grotesque et ignoble. Il faut que l’aide humanitaire parvienne dans le territoire. Il faut un nouvel interlocuteur palestinien à l’issue de cette guerre, et un nouveau premier ministre en Israël.

À lire: «Pécheur de perles» d'Alain Finkielkraut (Ed. Gallimard)

Et ce mercredi soir 20 mars à 20h30 dans l'émission «Le Poing» sur Léman Bleu

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