Et si la solution aux problèmes politiques de ce pays si révolutionnaire qu'est la France se trouvait à portée de la main? Ou plutôt à portée d’expériences concrètes, déjà menées sur le terrain, mais dont les décideurs se soucient trop peu? Telle est l’impression que donne la lecture, recommandée, de l’essai coécrit par le sociologue Jean Viard et l’ex-patron du syndicat CDFT Laurent Berger. Son titre? «Pour une société du compromis» (Ed. de l’Aube). Il dit tout. «S’il ne peut y avoir de compromis sur les valeurs, il doit y en avoir sur la construction de la société», écrivent à juste titre les deux auteurs. Un plaidoyer pour le réformisme patient et collectif, plutôt que pour la confrontation permanente.
Le hasard du calendrier fait que je termine cette chronique au festival de Morges, «Le livre sur les quais», qui réunit chaque année une brochette d’écrivains de la rentrée littéraire. J’y ai parlé de la France, de la difficulté à se sortir de sa crise politique engendrée par les élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, et de l’appel lancé par Emmanuel Macron à une «coalition du possible», allant du centre gauche à la droite traditionnelle. Or, à chaque fois, la même question est revenue dans la bouche de mes interlocuteurs: «Pensez-vous que les Français sont capables de compromis?» Ou, en version plus sévère: «De toute façon, l’idée de faire des concessions dans l’intérêt général du pays n’est pas dans l’ADN des forces politiques françaises.»
Désespérer de la France
Fin de partie? Faut-il donc désespérer de la France, condamnée à être fracturée et à vivre comme un archipel, pour reprendre la formule du sociologue Jérôme Fourquet? Non, répondent Jean Viard et Laurent Berger. «Le véritable sujet, écrivent-ils, est de donner une impulsion à la démocratie, de la mettre en mouvement. On le voit bien: les organisations qui fonctionnent sont celles qui ne sont pas statiques, grâce notamment à la capacité d’animation liée à la participation de tous.»
La force de ce petit livre, dont le sociologue (très médiatique) Jean Viard est aussi l’éditeur, est qu’il ne s’attarde pas sur les concepts. Il s’intéresse à ce qui marche. Ce qui fonctionne. Or beaucoup de choses fonctionnent en France. «Je fais l’expérience, à l’échelle d’une entreprise, que la conjugaison d’une volonté politique clairement exprimée, de moyens concrets dédiés à la révolution écologique et sociétale, et enfin de l’ambition d’embarquer les élus comme les salariés du groupe, sont les clés du succès», note Laurent Berger, qui fut un temps cité comme «premier ministrable».
Premier ministre: c’est bien sûr la fonction qui vient en tête au fil de ces pages dédiées à l’action collective. Est-il possible, demain, pour un chef de gouvernement français nommé par Emmanuel Macron – qui reçoit ce lundi 2 septembre Bernard Cazeneuve – de convaincre les partis représentés à l’Assemblée nationale de faire des compromis? Dans sa lettre aux Français du 10 juillet, au lendemain du second tour des législatives qu’il avait lui-même provoqué, le président a donné le ton: «La nature de ces élections, marquées par une demande claire de changement et de partage du pouvoir, les oblige à bâtir un large rassemblement», a-t-il estimé.
Pas qu’une affaire d’élus
Vrai? Pas sûr. Car la solution politique de demain se trouve peut-être ailleurs. C’est Jean Viard qui le dit: «Nous devons sortir de l’idée que la démocratie n’est qu’une affaire d’élus, avec au sommet un chef magistral. Un arbitre légitime est certes indispensable. Mais ce n’est pas l’arbitre qui marque les buts! La vraie question, c’est celle de la démocratie dans la société civile.» Et l’ex-syndicaliste Laurent Berger d’affirmer: «Les politiques, les forces vives, la société civile, les entreprises ont une responsabilité essentielle pour surmonter la tentation individualiste et transformer cette société fatiguée, fragilisée, en quête de sens et de destin commun.»
Combinaisons partisanes
Moralité? Le compromis n’est pas qu’une affaire de combinaisons partisanes. Il ne peut pas être le produit d’arrangements, en échange de postes au sein d’un gouvernement. Le compromis qui permet à un pays d’avancer, et la Suisse en sait quelque chose, doit combiner le rapport de force politique à la volonté des autres acteurs. Il doit, pour être accepté, profiter à la société dans son ensemble. «Il faut dire où l’on veut aller, et revendiquer de vouloir vivre dans une société apaisée», conclut l’ancien patron de la CFDT qui combattit la réforme des retraites signée Macron. Alors, on change?
A lire: «Pour une société du compromis» de Laurent Berger et Jean Viard (Ed de l’Aube)