Un député de gauche 32 ans condamné pour avoir giflé son épouse peut-il encore faire de la politique en France? A-t-il encore le droit de représenter ses électeurs de la première circonscription du Nord (Lille) et de prendre la parole dans le débat très houleux sur les retraites qui a démarré lundi 6 février à l’Assemblée nationale, sur fond de contestation sociale massive?
Adrien Quatennens a choisi de répondre à ses deux questions par l’affirmative, en intervenant mardi soir sous les applaudissements d’une partie de ses amis, et sous les huées de ses adversaires. Une prise de parole audacieuse de la part d’un élu qui a réintégré les bancs de l’Assemblée à la mi-janvier après sa condamnation à quatre mois de prison avec sursis pour violences conjugales. Et ce, après avoir exclu toute démission.
La France Insoumise prise en défaut
La question Quatennens n’est pas que théorique dans l’actuel paysage politique français. Nous avions, chez Blick, pris nos distances avec l’acharnement médiatique contre lui en 2022. N’empêche: son parti de gauche radicale, la France Insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, se veut le porte-étendard des combats sociaux et sociétaux, contre tous les archaïsmes du capitalisme et toutes les inégalités. Ce parti, fort de 75 députés après les élections législatives de juin 2022, a mis sur pied un Comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles (CVSS), avec pour mission «d’être un lieu d’écoute, d’aide et d’orientation des membres de la France Insoumise, victimes ou témoins d’actes de violences sexistes et sexuelles».
Lors de sa campagne présidentielle (21,7% des suffrages, troisième position), Jean-Luc Mélenchon avait présenté comme une «absolue priorité» la lutte contre ces méfaits, promettant d’accorder, s’il était élu, un milliard d’euros à cette cause et de faire voter une loi dédiée. En tant qu’espoir de sa formation, figure de proue de la NUPES, l’alliance de la gauche et des écologistes, Adrien Quatennens a donc enfreint une motivation de base de son engagement politique.
Les appels à la démission:
Cible parfaite pour les Macronistes
Restent la justice et la loi. Pour les députés du camp présidentiel, la faute est trop lourde pour être pardonnée, après un retour dans l’hémicycle plutôt tranquille. Silencieux depuis sa réapparition comme non-inscrit (jusqu’au 13 avril, date à laquelle son groupe LFI va réexaminer son cas), ses adversaires ont provoqué une interruption de séance mardi 7 février, vers 22h30, alors que l’intéressé entamait une courte déclaration sur «la suppression des régimes spéciaux de retraite qui répondent à des enjeux de pénibilité».
Cible parfaite pour un parti macroniste en difficulté. Chahut. Tumulte. Suspension des débats. Soutien affiché sur les bancs des élus de la France Insoumise. Gueule de bois et avertissements du côté de leurs alliés écologistes, en pointe sur la question des violences conjugales et eux-mêmes confrontés à des accusations portées contre leur ancien responsable Julien Bayou (contre lequel aucune poursuite judiciaire n’a été ouverte, et l’enquête interne close au sein de son parti).
Ironie du sort: la séance nocturne de l’Assemblée, mardi, était présidée par un élu que tout oppose à Adrien Quatennens: Sébastien Chenu, député du Rassemblement national (extrême droite) dans le même département du Nord.
Une opposition véhémente sur les réseaux sociaux:
Alors? La réalité est qu’Adrien Quatennens, désormais menacé par un hashtag #quatennensdemission, est dans une position intenable. Très en pointe sur les sujets sociaux avant les plaintes pour violence déposées par son ex-épouse, le jeune député a tout pour être une figure de proue de la lutte anti-réforme des retraites. Il est écouté de la jeunesse. Il sait décocher des punchlines dans les médias. Il a l’oreille de son chef, Jean-Luc Mélenchon, bien plus proche de lui que d’un autre tribun de LFI, le député de la Somme François Rufin.
Sauf que son affaire et sa condamnation font de lui un boulet pour son camp. En lui tapant dessus publiquement, ses adversaires savent qu’ils vont faire le buzz. Bref, parler ne rend pas service à sa cause politique. Mais s’il se tait, à quoi bon siéger à l’Assemblée où le débat final sur le projet de réforme des retraites s’achèvera quoi qu’il arrive le 26 mars?
Prendre le risque de retourner sur le terrain
Une seule solution se profile en réalité, même si Adrien Quatennens la réfute et s’y refuse aujourd’hui: remettre en jeu son mandat de député et prendre ses électeurs à témoin. Prendre le risque de retourner sur le terrain et de s’expliquer. Démontrer que son mea-culpa est plus convaincant que ses paroles dans «La Voix du Nord», en décembre, lorsqu’il regrettait de devoir «endurer en silence un lynchage médiatique inédit», et s’était permis de dénoncer «l’hypocrisie ambiante».
«L’enquête a conclu à ce que j’avais reconnu: une gifle donnée dans un contexte de dispute, il y a plus d’un an et jamais reproduite, et l’envoi de trop nombreux SMS amoureux suite à une annonce de divorce incomprise, avait-il expliqué. En citoyen, j’accepte ma sanction. Comme me l’a dit Madame la procureure de la République, il s’agit d’un 'avertissement solennel'. Je prends ma juste part. Mais je refuse d’en prendre davantage et de continuer à subir cet acharnement disproportionné. […] Ce geste ne me ressemble pas. Je l’ai beaucoup regretté, je l’ai reconnu même devant nos proches, je me suis immédiatement excusé et bien que ça ne se soit jamais reproduit, je le regrette encore aujourd’hui.»
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Adrien Quatennens peut-il encore faire de la politique et représenter ses électeurs? Légalement, rien ne l’en empêche. Moralement, lui seul peut trancher. Politiquement, cette décision aurait le mérite du courage et de la clarté, en plein débat social en France, d'autant que le projet de loi sur les retraites, dans sa version initiale, pénalise les femmes.
Le retour en campagne de ce brillant député lui permettrait d’ailleurs aussi d’éclaircir les accusations portées dans «La Voix du Nord» contre un autre ténor de sa région: l’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. «Plusieurs sources concordantes me disent que cela a été directement orchestré», avait lâché Adrien Quatennens au journal. S’il ne prend pas cette décision, et cherche à retrouver son rang à l’Assemblée sans nouvelle légitimité électorale, ce quinquennat risque d’être pour lui un calvaire. En forme de cimetière pour les idées féministes que sa formation défend toujours publiquement.