C’est un cauchemar insulaire qui plombe de plus en plus la France. Oui, un cauchemar. Il suffit d’entendre la députée de Mayotte Estelle Youssouffa pour comprendre que ce qui se passe dans ce territoire de l’Océan Indien, au large de Madagascar et du Mozambique, est bien plus qu’une affaire d’expulsion de sans-papiers.
Depuis la mi-avril, le gouvernement français a promis de renvoyer sur les autres îles des Comores plusieurs centaines d’immigrés clandestins originaires de cet archipel. La volonté des autorités se comprend: à Mayotte, minuscule territoire de 376 km2, ces Comoriens venus clandestinement s’agglutinent dans des bidonvilles où la pauvreté et la criminalité règnent en maître.
Le gouvernement français veut aussi, par cette opération d’expulsion baptisée «Wuambushu», désengorger les structures sanitaires et médicales de l’île qui sont au bord de la rupture. «Ce n’est pas une crise migratoire. C’est une question de survie pour les 310'000 habitants de l’île» (dont la moitié sont des citoyens français), clame depuis des jours sur tous les plateaux de TV la députée en colère.
Une décision de justice
Problème: rien ne va plus. D’abord parce que le démantèlement des bidonvilles et le renvoi des clandestins ont été bloqués par la justice française mardi 25 avril, au motif que ces opérations mettent en danger la sécurité de la population. Aussi bizarre que cela puisse paraître, vu sa localisation géographique bien loin de l’hexagone, Mayotte est depuis 2011 un département. Comme la Creuse. Comme le Doubs. Comme La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique ou la Guyane. Les lois de la République s’y exercent donc en direct sur sa population à grande majorité musulmane, à la différence du droit plus autonome exercé dans les Territoires d’Outre-mer comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française.
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L’autre raison de cette impasse, qui voit des centaines de policiers antiémeutes pris à partie quotidiennement par les Mahorais (la population française) et les clandestins comoriens, est que Paris se retrouve confronté au chantage des autorités de Moroni, la capitale de l’archipel des Comores. Un million d’habitants vivent dans les trois principales îles de ce pays: Grande Comore, Anjouan et Mohéli. Leur niveau de vie n’y a rien à voir avec celui des habitants de Mayotte, seul territoire Comorien à avoir choisi, le 22 décembre 1974, de rester français lors du référendum organisé sur l’indépendance.
Chantage, tel est bien le mot. Le gouvernement Comorien refuse d’accueillir les immigrés qui viennent pourtant de ses îles. Il exige à chaque fois davantage de concessions et d’aide de la France. Il jure de refouler les ferries que les policiers espèrent remplir de clandestins. Il mise sur la mobilisation, en métropole, de la communauté comorienne très influente dans une grande ville comme Marseille. Chaque année, quelque 20'000 personnes sont quand même renvoyées de Mayotte vers l’archipel comorien. Mais beaucoup reviennent ensuite. La raison est avant tout politique: pour les Comores, l’île française est… Comorienne. Il n’y a donc pas de raison de faire de distinction entre ces habitants qui ont le droit de s’établir où ils veulent.
La France a le dos au mur
La France, pour sa part, a le dos au mur. Dans le passé, après le fameux référendum de 1974 et la proclamation de l’indépendance des Comores en 1975, l’ancienne puissance coloniale avait gardé sur l’archipel une main mise, notamment en fermant les yeux dans les années 80 sur la présence sur place des mercenaires de Bob Denard. La France a aussi utilisé, en sous-main, les aspirations d’Anjouan à redevenir française, pour diviser ce pays considéré comme l’un des plus pauvres du monde, où 45% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Bref, les Comores ont longtemps fait partie de la «Françafrique». Mais aujourd’hui, c’est fini. Malgré sa position stratégique dans le canal du Mozambique, son port en eaux profondes utilisé par la Marine nationale et sa station d’écoutes satellitaire, Mayotte coûte beaucoup trop cher à la France. Les seuls transferts budgétaires (aides sociales, budget des administrations..) coûteraient chaque année entre 1 et 1,5 milliard d’euros à la France pour environ 200'000 mahorais titulaires d’une carte d’identité, alors que le PNB de l’île essentiellement agricole est d’environ deux milliards d’euros.
Plus grave, la France a le droit international contre elle. La résolution 49/18 de l’Assemblée générale des Nations unies de 1994 a réaffirmé la souveraineté de l’Etat comorien sur Mayotte et la départementalisation de 2011 a été jugée par l’Union Africaine – sous l’égide du Secrétaire Général des Nations unies – «nulle et non avenue». Impossible, dans ces conditions, d’espérer obtenir des soutiens en Afrique pour les expulsions de Comoriens, surtout au moment où la France bat en retraite partout dans son ex-pré carré du continent: retrait militaire forcé du Mali et du Burkina Faso, instabilité chronique au Tchad, difficile réorganisation des bases militaires au Sénégal ou en Côte d'Ivoire.
Une question de maintien de l’ordre, vraiment?
Le drame de l’île de Mayotte, présenté par les médias français comme une question de maintien de l’ordre et d’immigration, est en fait un autre échec africain de la France. Et un échec qui peut lui coûter cher, car l’insécurité chronique sur le territoire alimente les pires ressentiments envers la métropole. Or, il n’y a pas de solution envisageable.
L’éditorialiste de Mediapart Edwy Plenel, anti-colonialiste convaincu, n’a pas hésité à mettre Paris devant ses responsabilités. «A Mayotte, les Comoriens ne sont pas des étrangers» et «le gouvernement a face à lui une seule et même population» a-t-il écrit, s’attirant aussitôt les foudres du Figaro. «Dans sa volonté de déstabiliser l’État français, Edwy Plenel se rallie à une conception ethnique de la Nation. Pourtant, le but du jeu était autre: il s’agissait d’accuser l’État français de colonialisme» dénonce le quotidien conservateur. Juste. Parce que, dans les faits, la tragédie de Mayotte est bel et bien un héritage impossible et empoisonné d’une décolonisation bâclée et surtout inachevée.