Les Français ont leur «Davos». Ce forum économique international à la sauce tricolore ne se tient pas en hiver, et dans les Alpes. Il se déroule chaque année début juillet, dans la belle ville d’Aix en Provence, durant son festival lyrique très prisé. La coïncidence est voulue. Pas question de discuter de l’état de l’économie dans une réunion «hors-sol», entre grands patrons et dirigeants du monde entier.
Les Rencontres économiques annuelles d’Aix sont ouvertes à tous. Accès gratuit. Mais, comme à Davos, volonté de positiver à tout prix. «Recréer l’espoir» est le slogan de l’édition 2023… qui vient de s’ouvrir quelques jours à peine après la fin des plus graves émeutes que le pays a connues depuis le précédent soulèvement des banlieues, en 2005.
La productivité française en baisse
L’espoir comme mot-clé? Difficile de l’employer ici, à Aix-en-Provence, sans avoir l’impression d’être dans le déni de réalité économique. Depuis quelques jours, la dette publique française a dépassé les 3000 milliards d’euros, soit presque 113% de son produit intérieur brut (PIB). Preuve de la nouvelle répartition de la richesse au niveau mondial, la dette tricolore équivaut aujourd’hui à la capitalisation boursière d’Apple!
Plus grave: l’attractivité industrielle de la France, encore vantée avec succès par Emmanuel Macron le 15 mai (plus de six milliards de dollars de contrats annoncés) vient de subir un nouvel accroc avec l’épidémie de violences urbaines qui s’est abattue ces jours-ci sur le pays, suite à la mort du jeune Nahel tué par un tir policier à Nanterre. Cela, au moment où tous les indicateurs montrent une nette baisse de la productivité des travailleurs français. Celle-ci a reculé de 3,4% entre fin 2019 et fin 2022 en France, et de 7% dans le secteur manufacturier. Comme si «la grande démission» était devenue réalité…
A Aix-en-Provence, le cercle des économistes, organisateur des Rencontres, plaide pour la méthode Coué. Répéter, toujours répéter. Les sessions ont pour thème «Nouvelles technologies, futur de l’industrialisation», «Économie circulaire, le modèle à suivre», «Vers plus de justice fiscale» ou «L’école, moteur de l’ascenseur social».
Que du positif à l’image du souriant commandant en chef de ces journées, l’économiste Jean-Hervé Lorenzi qui officia longtemps au sein d’UBS France. «Les espoirs sont nombreux, qu’ils touchent au bien-être, au travail, à la prise de consigne écologique, aux innovations, aux grandes tendances sociales et sociétales» explique-t-il à Blick. Et quid des 5800 déclarations de sinistres déjà reçues par les assureurs après les émeutes du 17 juin au 1er juillet? 12'031 véhicules incendiés, 2508 bâtiments incendiés ou dégradés dont 105 mairies et 168 écoles. Coût immédiat des dégâts et du manque à gagner? Un milliard d’euros. Coût de la reconstruction? Plusieurs milliards. Vous avez dit «attractivité»?
Paris a toujours mille autres priorités
Un chiffre est d’ailleurs systématiquement éludé, même si le quotidien conservateur «Le Figaro» lui a consacré la «une» de son supplément économique le 2 juillet: celui des 3000 milliards d’euros de dette publique. Pourquoi? Parce que personne ne croit le pays capable de redresser la barre de ses finances publiques dans les prochaines années.
«Quand la tempête se calme, Paris se trouve toujours mille autres priorités que de faire des économies ou d’engager des réformes douloureuses» analyse «Le Figaro». Avant d’asséner le coup de grâce: «La France continue de dépenser alors que les autres États européens ont à cœur de reprendre en main leurs finances, sur fond d’envolée des taux d’intérêt.»
Gérer les excès de l’endettement public
Qu’en pensent les économistes réunis à Aix-en-Provence? Ils persistent à parler espoir, en refusant d’admettre que se désendetter est une priorité absolue. «Il faut bien entendu gérer les excès de l’endettement public. Mais la viabilité de la dette existante dépend surtout de la santé de nos économies dans les années qui viennent juge Pierre Jacquet, de l’École des Ponts-Paris-Tech. On n’assure pas la viabilité de la dette en obérant l’avenir […] C’est la qualité et la productivité de la dette publique qui compte bien plus que son volume.» Vous avez bien compris: la France croit pouvoir continuer de recréer l’espoir en accumulant dépenses et endettement. En plein choc social, et après le psychodrame de la bataille sur la réforme des retraites, le cercle vicieux y tourne toujours. A plein régime.