Jean-Hervé Lorenzi, économiste
«L'Europe reste très vulnérable, et Poutine le sait»

Fondateur du Cercle français des économistes, Jean-Hervé Lorenzi accueillera bientôt à Aix-en-Provence les Rencontres économiques annuelles (8-10 juillet). Alors que les dirigeants de l'UE débattent, à Bruxelles, des prix du gaz pour l'hiver, il se dit très inquiet.
Publié: 24.06.2022 à 10:51 heures
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Dernière mise à jour: 24.06.2022 à 12:44 heures
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L'économiste Jean-Hervé Lorenzi dépeint un tableau sombre, mais qui n'est pas dénué d'espoir.
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Richard WerlyJournaliste Blick

Jean-Hervé Lorenzi est un optimiste. D’emblée, ses premiers mots cherchent à redonner le moral à ceux qui l’interrogent sur la crise énergétique à venir cet hiver sur le continent européen menacé par l’inflation. «Nos rencontres seront celles de l’espoir au sortir de la pandémie et alors que l’avenir a de quoi inquiéter» lâche-t-il, à propos des prochaines rencontres économiques d’Aix en Provence, du 8 au 10 juillet, rendez-vous incontournable pour les patrons, les experts et les dirigeants français. Mais avoir le moral ne signifie pas ignorer les réalités économiques inquiétantes que le sommet européen aborde ce vendredi 24 juin à Bruxelles. Entretien lucide.

Blick: Jean-Hervé Lorenzi, allons à l’essentiel: le prix du gaz peut-il se transformer en cauchemar économique pour les Européens cet hiver?
Le cauchemar économique, c’est le pouvoir d’achat des Européens. Il est absolument nécessaire de le préserver. Il en va de l’activité économique de nos pays, et de la capacité de nos populations à accepter, ou non, les sacrifices qui leur seront demandés. L’étau terrible dans lequel les Européens se retrouvent pris est à la fois interne et externe. Coté externe, c’est la guerre en Ukraine et ses conséquences. Côté interne, la bipolarisation croissante du marché du travail va devenir intenable si le pouvoir d’achat plonge. Les offres d’emploi non qualifié abondent. Mais s’ils ne paient plus pour vivre décemment dans un contexte d’explosion des prix de l’énergie, que va-t-il se passer?

Et pourtant, vous parlez de vos rencontres d’Aix comme celles de l’espoir?
Parce que nous n’avons pas le choix. La vérité, c’est que la folie humaine s’est emparée de la géopolitique mondiale le 24 février. Regardez ces jours-ci le blocus de Kaliningrad, l’enclave russe située entre la Lituanie et la Pologne. Nous sommes revenus en 1940, lorsqu’au même endroit, les Européens s’apprêtaient à entrer en guerre pour le corridor de Dantzig. C’est absurde. Donc oui, il faut espérer car sinon, qu’avons nous devant nous sur le plan économique: des tensions croissantes entre catégories sociales, une inflation difficile à combattre car elle est largement importée par les prix de l’énergie. Que des écueils.

Les dirigeants européens débattent ce vendredi 24 juin à Bruxelles des périls économiques pour la zone euro. L’Europe est-elle armée pour se défendre?
Non, bien sûr que non. L’Europe n’est pas suffisamment armée. Sur l’énergie, regardons les choses en face: on a pas d’alternative pour remplacer le gaz russe. Nous restons très vulnérables et Poutine le sait. Même en France, le parc nucléaire, souvent présenté comme «la» solution, plusieurs centrales sont arrêtées en raison de microfissures. Tout ça est extrêmement risqué et dangereux. La Banque centrale européenne tient bon. Elle n’est pas va-t’en-guerre. Elle veut éviter que des pays se retrouvent marginalisés. Mais tous les gouvernements de l’Union européenne sont soumis à la même équation insoutenable: comment réduire les déficits et financer la décarbonation de l’économie en tenant compte de l’absolue nécessité de défense du pouvoir d’achat. Celle-ci, à elle seule, va représenter chaque année des investissements équivalents à 2 à 3% de Produit intérieur brut (PIB) supplémentaire. Comment les financer?

Votre tableau est sombre. L’espoir, c’est d’oser affronter la réalité économique?
L’espoir, c’est d’imaginer les solutions. En l’état, l’Europe affronte deux défis structurels, au-delà du conflit en Ukraine et de la menace russe: un choc démographique très important, avec un vieillissement accéléré de sa population, et la bataille pour la maîtrise des technologies de demain. Il ne faut pas rater ce virage technologique que les États-Unis ou la Chine ont déjà pris. Pour que l’Europe soit armée face aux défis économiques, elle doit avoir cette maîtrise technologique à travers des campus performants, comme celui de l’École polytechnique fédérale à Lausanne. C’est essentiel. C’est là que réside l’espoir!

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