Conseil constitutionnel visé
La France devient-elle la République des copains de Macron (et de Le Pen)?

Richard Ferrand est un ami très proche d'Emmanuel Macron, qui vient de le nommer président du Conseil constitutionnel. Le Rassemblement national (RN) a laissé faire malgré de fortes oppositions. Est-ce grave?
Publié: 20.02.2025 à 20:06 heures
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Dernière mise à jour: 11:53 heures
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Le Conseil constitutionnel est l'ultime gardien des institutions républicaines françaises.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

A une voix près. Si 59 députés s’étaient prononcés contre la nomination de Richard Ferrand (62) à la présidence du Conseil constitutionnel où il devrait remplacer le 7 mars l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius, ce très proche d’Emmanuel Macron aurait dû lâcher prise. Et dire adieu à l’un des postes les plus convoités de la République.

Seulement voilà, à une voix près, la majorité requise des 3/5e pour bloquer le processus, au sein des Commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, n’a pas été atteinte. La voie s'est donc libérée pour l’ancien député breton, qui présida cette Assemblée entre 2017 et 2022. Le décret présidentiel le nommant a été publié le 20 février. Mais ce, grâce à des abstentions qui font jaser: celles des députés du Rassemblement national (droite nationale populiste) de Marine Le Pen.

Or le calendrier interpelle. Richard Ferrand va présider le collège des neuf sages constitutionnels à partir du 7 mars. Soit trois semaines avant la décision très attendue de la justice dans le procès des assistants parlementaires européens du RN, avec risque de condamnation de Marine Le Pen à une inéligibilité immédiate qui ruinerait ses ambitions présidentielles pour 2027.

Roland Dumas et Jean-Louis Debré

Vous ne suivez pas la politique française et tout cela vous échappe? Alors on refait le film: en France, le président du Conseil constitutionnel est nommé par le chef de l’État. Emmanuel Macron ne fait donc que son devoir, pour remplacer Laurent Fabius nommé en 2016 pour neuf ans par son prédécesseur François Hollande. Il est aussi d’usage de nommer un proche. Mitterrand avait nommé successivement ses deux avocats préférés: le très docte Robert Badinter, puis l’intriguant Roland Dumas (qui avait dû démissionner en raison de l’affaire du géant pétrolier Elf). Chirac avait choisi l’alpiniste politicien savoyard Pierre Mazeaud, puis son «hussard» Jean-Louis Debré. Et après?

La différence est que Richard Ferrand n’est pas un juriste confirmé, loin s’en faut. Il a été député – deux mandats – point. Son ascension express doit tout à Emmanuel Macron qu’il a rallié en 2017. Il a en plus été mêlé, en Bretagne, à une affaire immobilière (les poursuites ont été abandonnées). Bref, sa qualification pour cette fonction de «premier sage de la République» est questionnée. Cela, alors que d’autres très proches de Macron sont mis en cause, comme le Secrétaire général de l’Elysée depuis 2017, Alexis Kohler qui refuse ces jours-ci d’être auditionné par la Commission des finances de l’Assemblée.

Sujet délicat supplémentaire à l’horizon: le recours au référendum que le président a annoncé dans ses vœux du 31 décembre. Avec l’idée, très contestée et constitutionnellement discutable, d’un vote populaire sur l’immigration.

Fragilité politique

Vous ne voyez toujours par le problème? On complète: Richard Ferrand, contesté, est donc passé au travers à une voix près grâce à l’abstention des élus RN qui ont pourtant, en septembre 2024, fait tomber sans hésitation le gouvernement de Michel Barnier. Plus surprenant encore: l’ex-député breton, salué par Marine Le Pen pour son tempérament républicain, a été rejeté par les députés de droite qui soutiennent pourtant le gouvernement actuel du centriste François Bayrou.

On mesure dès lors la fragilité de l’intéressé, alors que le pays est en crise politique latente depuis la dissolution de l’Assemblée le 9 juin 2024. Ferrand a dû démentir qu’il est favorable à un troisième mandat pour Macron (impossible selon la Constitution). Drôle d’ambiance.

Quelle conclusion (provisoire)?

On écrit souvent qu’Emmanuel Macron est un homme très seul. C’est vrai. Plus que jamais. La presse française le critique aussi beaucoup pour ses choix d’hommes et de femmes, au point qu’il a hérité du surnom de «plus mauvais DRH de la République». N’aurait-il pas été pas plus sage, dans un contexte de pays fracturé, avec des extrêmes qui ont le vent en poupe dans les urnes, de trouver une personnalité moins clivante, moins issue de la «cour présidentielle»?

Le constitutionnaliste Benjamin Morel a répondu à France Info: «Ferrand a un profil assez faible en droit. On parle beaucoup de Jean-Louis Debré, qui a certes été président de l’Assemblée nationale (comme Richard Ferrand), mais il était également docteur en droit et magistrat. C’est autre chose du point de vue de la connaissance du droit constitutionnel. Or en France, l’État de droit n’a jamais été aussi faible, aussi attaqué, avec potentiellement une extrême droite qui demain pourrait arriver au pouvoir et une contestation globale de l’État de droit en France comme à l’étranger».

Emmanuel Macron est resté sourd à cet argument. Richard Ferrand, son «grognard» va bel et bien présider le collège des neuf sages de la République.

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