Ce livre est un catalogue. Ceux qui préfèrent lire des essais fouillés, ou des enquêtes approfondies sur les maux économiques et sociaux dont souffrent la France et les autres pays occidentaux, préféreront donc regarder ailleurs. Dans «Combien de temps ça va durer?» (Ed. Plon), le chroniqueur économique français François Lenglet écrit comme une boussole. Il désigne à chaque fois le Nord, c’est-à-dire ce qui pose problème.
Ses «Cent vérités bonnes à dire» – le sous-titre du livre – sont avant tout des avertissements. Les vérités réconfortantes ou optimistes sont rares. Notre planète va mal, et nos économies avancent dans le brouillard. Optimistes, s’abstenir! Avec Lenglet, préparez-vous à rentrer dans un tunnel d’interrogations sans réponses..
Le problème est que l’auteur a souvent raison. Sa vision panoramique de nos sociétés et de nos gouvernements offre l’avantage d’une saine prise de distance. Une partie des «vérités» de Lenglet s’imposent à tous, parce qu’elles sont au cœur de nos dilemmes économiques. C’est le cas par exemple de l’intelligence artificielle, assurée de bouleverser nos vies et celles des entreprises.
Autre avantage de cette méthode: elle permet à l’intéressé de décocher ces flèches habituelles contre la paresse politique des dirigeants français. La «vérité 31» intitulée «La France, reine de l’emprunt» est un modèle d’explication de texte qui fait mal, tout comme la suivante intitulée «Le déficit commercial, spécialité française». Dans les deux cas, le journaliste brosse le tableau économique d’un pays qui s’est toujours illusionné dès qu’un rebond de sa croissance est survenu. La France surfe. Elle espère profiter de chaque vague. Mais sur le plan structurel, sa position se dégrade. Le pays recule. Le surfeur est sur le sable.
Pourquoi se faire mal?
Pourquoi se faire mal en lisant ce genre de livre? Parce que, comme tout diagnostic médical sincère et bien mené, celui-ci a une vertu. François Lenglet, dans son langage simple, direct et imagé, nous démontre que l’Occident ne peut plus raisonner comme avant. La position dominante qu’il occupait dans les échanges mondiaux est menacée. Notre dépendance envers les terres rares, les métaux critiques et les hydrocarbures nous oblige à mener une course à laquelle les jeunes générations sont réticentes.
C’est le côté sociologique de ce livre: il démontre que l’économie et la société, dans nos pays européens, vont de moins en moins de pairs. Le passage consacré au «G7 contre les Brics» commence par ces mots simples, mais qui tapent juste: «Le G7 n’est désormais plus qu’un conseil d’administration vieillissant qui n’a plus les moyens de gouverner le monde». Bien vu. L’entreprise planétaire nous échappe. Elle est en surchauffe et nous ne savons plus calmer son moteur, et ralentir ses emballements. François Lenglet n’emploie pas ce terme mais il aurait pu: l’économie mondiale, vue de Paris, Londres ou Berlin, ressemble de plus en plus à un rodéo.
Elon Musk, savant fou
L’autre qualité de ce livre facile à lire, conçu comme une série de clips racontés de manière très visuelle, est qu’il regarde devant. L’auteur n’est pas un nostalgique. Il se projette dans le monde de demain et s’interroge sur notre capacité, ou non, à conserver à l’avenir ce bonheur matériel que nos sociétés ont su produire. Son paragraphe sur «Elon Musk, savant fou du XXIe siècle» est éloquent. «On pouvait rire de ses fanfaronnades il y a cinq ans, aujourd’hui on l’écoute» tranche François Lenglet. Vrai. Et inquiétant.
Le propriétaire du réseau social X (ex-Twitter) et du constructeur automobile Tesla est à l’image du monde de 2023. Il n’a pas d’autre cap que celui de maximiser les profits de ses entreprises, ou d’empêcher leur faillite, comme c’est le cas avec Twitter. Elon Musk ne construit pas. Il détruit pour remplacer. C’est la grande différence avec Henry Ford, le constructeur automobile mythique à qui l’auteur le compare. Ford remplaçait certes les chevaux avec ses voitures, mais ses usines étaient créatrices d’emploi, et ses véhicules accouchaient de nouveaux modes de vie. La réalité est aujourd’hui différente. Le seul horizon nouveau, avec ce que cela comporte d’illusions, de peurs et de fantasmes, est l’horizon de la conquête spatiale et du retour sur la Lune.
Pas de réponses
«Combien de temps ça va durer?». François Lenglet a raison de poser la question, car il n’a pas la réponse. C’est à la fois la force et la faiblesse de son livre. Son catalogue n’est pas celui des solutions. Logique. Le monde se transforme sous nos yeux.
Lire ce livre ne vous rendra pas moins inquiets. Mais il vous aidera à garder les yeux ouverts. Ce qui est essentiel, en période de grande transformation.
A lire: «Combien de temps ça va durer ?» par François Lenglet (Ed. Plon)