Et voilà, c’est fini! Le second tour des élections législatives françaises s’est achevé dimanche soir par la victoire inattendue du Nouveau Front Populaire, la coalition de la gauche unie. Laquelle demeure toutefois très loin d'obtenir une majorité absolue des sièges, avec 182 députés sur 577. Chaque jour, nous avons suivi cette campagne à travers nos chroniques en 5 infos.
Voici l'avant-dernière de nos chroniques en 5 infos: Et si Tik Tok était, pour les jeunes supporters du RN, la seule vraie démocratie ?
Jeunes électeurs RN, la gueule de bois
Ils n'en démordent pas. Pour ces jeunes partisans de Jordan Bardella que nous avions rencontré lors de notre reportage à Saint-Denis, la ville de banlieue dont le leader du Rassemblement national est originaire, le «front républicain est une magouille». Ils ont tous moins de 25 ans. Ils ne voient la politique qu'au travers des réseaux sociaux. Ils ont vu que 57% de leur classe d'âge s'était déplacée pour voter au premier tour. Ils ne savent pas si ce nombre a augmenté dimanche. Mais ils se repassent en boucle les images des manifestations anti RN place de la République, à Paris, lorsque les résultats ont été annoncés.
«Regardez bien ces jeunes-là, ce n'est pas nous lâche Kevin, fils d'un couple d'immigrés espagnols. Père maçon, mère employée de maison. Nous, on ne manifeste pas pour dire que la France est métissée ou LGBT. Les jeunes électeurs de gauche, eux, vivent dans le monde parallèle des grandes villes.» Ont-ils le sentiment d'avoir perdu la bataille? Où préparent-ils, comme l'a promis Marine Le Pen, la bataille présidentielle de 2027? «Si on a tout le monde contre nous, à quoi ça sert s'énerve Narong, un jeune d'origine cambodgienne. Moi, je bosse dans la sécurité. Je ne travaille qu'avec des étrangers. Et je peux vous dire qu'aucun de mes collègues ne soutient Mélenchon.»
En résumé: La jeunesse est fracturée, comme le reste de l'électorat.
Jordan battu, l'amère défaite
Ils regardent leur portable. La dernière vidéo postée par Jordan Bardella le montre en train de s'adresser aux journalistes, devant le siège du Rassemblement national. Déjà plus de 300'000 vues au compteur. Les jeunes qui nous montrent ce petit film sur l'écran de leurs portables sont persuadés que Jordan «n'a pas fait d'erreurs». Pourquoi? «Il est comme nous. Il a 28 ans. Et vous, les médias, vous ne faites preuve d'aucune indulgence à son égard. Attal est Premier ministre. Il a été plusieurs mois ministre. Il a passé sa vie dans des cabinets ministériels. En fait, pour les journalistes, on est des benêts. On le sait. On est pas fous.»
23% des jeunes de 18-25 ont glissé leur bulletin dans l'urne pour les candidats RN au premier tour des législatives. Cette polarisation «renvoie à des jeunesses qui sont différentes du point de vue de leurs conditions de vie, de leur territoire, de leur origine sociale, de leur niveau de diplôme ou de leur profession», explique Laurent Lardeux, qui a codirigé l’ouvrage «Générations désenchantées? Jeunes et démocratie» (2021), dans un entretien pour le magazine «Challenges». La vraie démocratie? Ils la trouvent, disent-ils, sur les réseaux sociaux.
En résumé: Entre Jordan et les autres candidats, le grand fossé.
Bardella superstar, toujours vrai
Sa popularité peut supporter cet échec des législatives. Jordan Bardella reste le roi incontesté des réseaux sociaux. En l'espace de dix secondes, plusieurs vidéos d'influenceurs arrivent sur l'écran du téléphone portable, lorsqu'on active l'application Tik Tok. Suivent les vidéos politiques siglées RN: un reportage de «Quotidien» sur Marine Le Pen, un extrait du débat de la veille avec Jordan Bardella et une autre vidéo avec le président du Rassemblement national.
La radio France Bleu a consacré une longue enquête au profil numérique de Jordan Bardella. Sur TikTok par exemple, le jeune président du RN a 1,7 million d'abonnés. C'est cinq fois plus que Gabriel Attal (313'000) et dix fois plus que Manon Aubry (165'000). Il montre les coulisses de sa campagne, ses déplacements sur le terrain. Il publie également des extraits d'interviews dans les médias. Certaines vidéos ont un ton plus intime: «Les amis, je fais cette vidéo...» et d'autres se veulent beaucoup plus solennelles. Une vidéo sur l'échec du RN à trouver une majorité absolue ou relative à l'assemblée? Rien ne circulait lundi. Tik Tok ne retient que les bonnes nouvelles.
En résumé: Le RN surfe sur Tik Tok, avec l'aide de qui?
Poutine interfère, et alors ?
J'ai de nouveau parcouru, après le second tour, l'excellent rapport du CNRS sur l'importance des ingérences étrangères dans la vie démocratique française. Son auteur, le chercheur David Chavalarias, nous avait à juste titre mis en garde. On attendait Poutine partout. Dans les esprits. Dans les urnes. Dans les rues avec le risque de «guerre civile». Et bien sûr dans le résultat de ces élections anticipées convoquées par Emmanuel Macron à quelques semaines de l'ouverture des Jeux olympiques sur la Seine.
Au final? Une demi-satisfaction pour tous ceux qui, en Russie, s'emploient à avancer leurs pions nationaux populistes et anti-européens en France. Jordan Bardella n'a pas remporté la mise. Et Marine Le Pen, celle qui «allait le voir comme on va voir son banquier» (dixit Emmanuel Macron durant leur second débat télévisé présidentiel d'avril 2022), vient une nouvelle fois de se cogner contre le plafond de verre qui ressemble de plus en plus à du béton armé. Restent les pacifistes de La France Insoumise, que leurs alliances à gauche empêchent toutefois de saboter ouvertement l'aide à l'Ukraine.
Bonne nouvelle? La partie n'est pas jouée. À peine les résultats du second tour connus, le site d'extrême droite basé en Russie, Réseau Libre, a proféré des menaces de mort contre plusieurs figures de LFI. Objectif de ces mots d'ordre de haine numérique? Semer la peur chez «les avocats, journalistes, associatifs et politicards de second ordre». Jordan Bardella, pendant ce temps, pourrait prendre la tête du groupe créé au Parlement européen par le Premier ministre hongrois Viktor Orban. Un ami de Vladimir, qui a tenu à se rendre à Moscou dès que son pays a commencé à assumer, le 1er juillet, la présidence tournante de l'UE... Poutine est en échec. Mais certainement pas mat.
En résumé: La bataille d'influence se poursuit
LFI, l'autre jeunesse française
«Les jeunes de 18-24 ans continuent de voter en premier lieu et majoritairement pour la gauche, en deuxième lieu pour le Rassemblement national», nuance, après le second tour Jean-Daniel Lévy, directeur d’Harris Interactive, en marge d'une émission de radio. «On a une bipolarisation très marquée entre un vote plutôt social écologiste et un vote national conservateur.» Lors des dernières européennes, les primo-votants avaient également davantage voté en faveur de La France insoumise (LFI) que les autres tranches d’âge. Idem lors des législatives de 2022, où les 18-24 ans avaient voté à 34,9% pour la Nupes au premier tour — et 8,7% pour le reste de la gauche - à 17,5% pour le camp Macron et 14,1% pour le RN. Les jeunes engagés à gauche votent davantage pour un projet. «On ne ressent pas ces valeurs à droite. Dans le programme du RN, je ne vois pas qu’on essaie de sauver la planète.»
En résumé: Les réseaux sociaux ne votent pas qu'à droite.