Dans trois des quatre grands pays voisins de la Suisse, l'extrême droite cartonne sur la scène politique: Giorgia Meloni, la Première ministre italienne d'extrême droite, gouverne l'Europe, tandis qu'en France et en Allemagne, Marine Le Pen et Alice Weidel dominent des partis bénéficiant d'une influence solide et sans cesse grandissante.
La sociologue Dorit Geva de la Central European University à Vienne, mène des recherches sur le populisme de droite en Europe, et fait un autre constat: la politique d'extrême droite s'est féminisée. «Un problème de longue date de la droite radicale depuis les années 1970 est qu'elle a toujours été plus attrayante pour les électeurs masculins que pour les électrices», note la sociologue. Et puis Marine Le Pen est arrivée.
La fille de l'ancien leader du Front national, Jean-Marie Le Pen, a pris les rênes du parti en 2011, repoussant l'image masculine qui prévalait dans le parti et qui rebutait les femmes. Après avoir rebaptisé Rassemblement national, elle a passé la direction du parti à Jordan Bardella en 2022, mais elle sera probablement à nouveau candidate à la présidence de la République en 2027.
Série «Européennes»
La progression fulgurante de Marine Le Pen et des figures féminines
Les chiffres sont parlants: alors que 9% des femmes votaient encore pour Jean-Marie Le Pen en 2007, 30% des femmes ont voté pour Marine Le Pen une décennie plus tard. Chez les jeunes, la part de voix féminines accordée était même plus élevée que celle des hommes.
Souvent, les figure politiques féminines se présentent comme des femmes modernes et fortes, ne pliant pas face aux normes patriarcales: «Le Pen, tout comme Meloni, ont réussi à véhiculer cette image. Toutes deux se présentent comme des combattantes dans leur pays d'origine.»
Dans son programme électoral de 2022, Marine Le Pen insiste sur le fait que les mères célibataires qui travaillent doivent être davantage soutenues. La Première ministre italienne Giorgia Meloni se bat, elle, pour l'égalité salariale et s'attaque à la violence envers les femmes, avec un slogan: «Je suis une femme, je suis une mère, je suis une chrétienne!»
La posture de Giorgia Meloni se démarque ainsi nettement de l'attitude de ses prédécesseurs, comme Silvio Berlusconi. Sa séparation publique d'avec son partenaire infidèle à l'automne dernier avait suscité l'admiration, y compris chez les électrices qui rejetaient sa politique.
Même Von der Leyen courtise Meloni
Ainsi, un plus grand nombre de femmes s'identifie à Marine Le Pen et Giorgia Meloni: «Leur capacité à capitaliser sur la lutte pour les droits des femmes – à l'exception des droits des migrantes – les fait apparaître comme moins radicales et donc plus attrayantes pour les électrices», détaille la sociologue.
Des représentants de haut rang de certains partis cherchent désormais à s'allier à la droite. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, du Parti populaire européen (PPE), n'exclut désormais plus de collaborer avec le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE), dans lequel sont représentés Fratelli d'Italia, le parti de Giorgia Meloni, et d'autres partis populistes de droite.
Meloni et Le Pen se sont révélées être des femmes politiques pragmatiques, poursuit Dorit Geva. Elles ont normalisé leurs partis et ont démontré leur capacité à faire des compromis, à collaborer avec d'autres acteurs politiques: «Elles contribuent ainsi à la consolidation de la politique anti-migratoire en Europe», estime la sociologue.
Les élections européennes en vue
Le 9 juin prochain, l'Union européenne doit élire son Parlement. Si, après les années 1980, la part des sièges attribués à l'extrême droite a longtemps été d'environ 4%, l'EKR, avec le deuxième groupe populiste de droite Identité et Démocratie (ID), atteint aujourd'hui environ 16%.
Les pronostics prévoient une augmentation des deux groupes à près de 20%. Ce chiffre ne tient pas compte de l'AfD allemande, codirigée par Alice Weidel et Tino Chrupalla, qui a été exclue de l'ID en raison d'incidents liés à l'extrême droite.
Dorit Geva est désormais formelle: les partis de droite européens – qu'ils soient de centre-droit ou d'extrême-droite – savent mieux mettre en avant des personnalités féminines forte bénéficiant d'un large soutien, que n'en sont capables les partis de la gauche européenne: «Les partis sociaux-démocrates de centre-gauche sont particulièrement fermés aux femmes dirigeantes. C'est à eux de se remettre en question.»