Fake news et masculinisme
Mark Zuckerberg, symbole de la révolte réac’ américaine

Où est passé le patron qui célébrait la diversité et s’excusait pour les fake news diffusées sur Facebook? Depuis le début de l’année, Mark Zuckerberg se rapproche de l’idéologie trumpiste. Un virage? Non, une convergence anti-woke et pro-business.
Publié: 09:16 heures
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Dernière mise à jour: il y a 24 minutes
Photo: keystone-sda.ch
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Certains changements se font si progressivement qu’ils relèvent plus du glissement que du renversement de table. Ces derniers mois, les cheveux de Mark Zuckerberg ont poussé. Ses éternels t-shirts gris ajustés sont devenus larges et noirs. Des chaînes en or sont apparues autour de son cou. Sur ses réseaux sociaux, le fondateur de Facebook, aujourd’hui toujours à la tête d’un groupe devenu Meta, a aussi changé de ligne, remplaçant les photos de famille par des vidéos de MMA – les mixed martial arts, un sport de combat qui mêle les techniques de plusieurs disciplines – et les incursions sages dans sa vie quotidienne par l’expositions d’achats extravagants, comme une statue à l’effigie de son épouse, particulièrement grande… et particulièrement laide.

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Ce pourraient n’être là que les signes d’une crise de la quarantaine, l’informaticien américain ayant passé le cap fatidique l’an dernier. Mais le 10 janvier, les choses ont pris une autre tournure. Alors qu’il s’exprimait dans le podcast de Joe Rogan, animateur conservateur américain ouvertement trumpiste, Mark Zuckerberg a tenu des propos masculinistes, vantant les bienfaits de «l’énergie masculine» en entreprise. «Je pense qu’avoir une culture qui valorise un peu plus l’agressivité a ses mérites, que c’est vraiment positif», a-t-il déclaré tout sourire. Voilà la justification à des mesures très concrètes: la suppression des politiques inclusives au sein de Meta, qui regroupe aujourd’hui les réseaux sociaux Facebook et Instagram, ainsi que la messagerie WhatsApp.

Un virage sur la modération…

Quelques jours plus tôt, le patron annonçait aussi revenir sur la mise en place de processus de modération des contenus. «Nous avons atteint un point où il y a trop d’erreurs et trop de censure. Nous allons nous débarrasser des fact-checkers et les remplacer par des notes communautaires similaires à X», a-t-il déclaré, prenant donc exemple sur le réseau social détenu par Elon Musk. Ce dernier a d’ailleurs immédiatement trouvé ça «cool».

À première vue, le virage est total. En 2018, devant le Congrès américain, assailli de questions concernant les fausses informations diffusées sur ses réseaux sociaux pendant la campagne opposant Donald Trump et Hillary Clinton, Mark Zuckerberg avait présenté des excuses pour l’insuffisante modération de Facebook. «Nous n’avons pas fait assez pour empêcher ces outils d’être utilisés à mauvais escient. Nous n’avons pas pris suffisamment conscience de notre responsabilité, et c’était une énorme erreur. C’était mon erreur.»

Et Elon Musk ne l’a pas toujours trouvé si «cool» que ça. En juin 2023, alors que Mark Zuckerberg préparait un projet pour contrer X, fraîchement racheté par le patron de Tesla, celui-ci lui avait proposé un combat sur le ring. Ces provocations de milliardaires de la tech n’ont jamais débouché sur la moindre confrontation physique, même lorsque «le Zuck» a lancé son application Thread… mais illustraient bien les tensions entre les deux patrons.

…et vers la droite

Le virage est aussi politique. Et à droite toute. En 2008, en campagne pour sa réélection, Barack Obama vient présenter son programme économique dans la Silicon Valley, en profitant pour faire un crochet chez Facebook. À l’époque, il plaisante devant une assemblée acquise à sa cause sur le fait qu’il a réussi à pousser Mark Zuckerberg à enfiler une veste et une cravate. L’informaticien s’affiche avec plaisir aux côtés du démocrate. Il bannira même Donald Trump de Facebook en 2021, après l’attaque du Capitole, ce qui lui vaudra d’être dénigré ouvertement par le républicain, qui le traite, avec le langage fleuri qu’on lui connaît de «taré» («weirdo» en VO) qui aurait quémandé un dîner avec lui pour lui «lécher le cul».

Depuis, l’atmosphère semble s’être bien réchauffée entre les deux hommes, qui ont dîné ensemble en novembre dernier. Mark Zuckerberg a offert une paire de lunettes «intelligentes» à Donald Trump et lâché un million de dollars pour financer sa prochaine cérémonie d’investiture, le 20 janvier.

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Concernant les politiques d’inclusion enfin, la volte-face de Mark Zuckerberg est flagrante. «Meta a incarné, à l’époque des démocrates, le lieu de la prospérité à l’américaine, sensible aux minorités, très international, avec des politiques volontaristes en matière d’intégration des femmes», explique à nos confrère du «Monde» Julien Le Bot, journaliste et auteur de «Dans la tête de Mark Zuckerberg» (éd. Solin, 2019). «Il n’était pas rare d’avoir des drapeaux LBGT sur le site de l’entreprise.» Aujourd’hui, le service DEI (pour «diversité, équité et inclusion») de Meta a été dissous et sa directrice mutée. Selon le «New York Times», qui a interrogé plusieurs employés de Meta dans une enquête, ce changement de braquet est intervenu en à peine six semaines, et a été orchestré dans le plus grand secret par Mark Zuckerberg et une poignée de responsables du groupe.

Business is business

Que s’est-il passé pour que celui qui a un temps détenu le titre de plus jeune milliardaire du monde (il a depuis été détrôné par Kylie Jenner) change ainsi d’avis, d’adversaires et de t-shirts? La réélection de Donald Trump est venue acter un retour à des valeurs conservatrices, traditionnelles et «anti-wokes», après des années de débats houleux entre les tenants de cette ligne et les progressistes. Même avant la victoire du républicain, des décisions fortes de la Cour Suprême, comme la suppression du droit fédéral à l’avortement et, en 2023, le bannissement de la «discrimination positive» à l’université, indiquent ce fléchissement. Dans une note interne, révélée par le média américain Axios, Meta cite d’ailleurs cette décision et estime que «le terme ‘DEI’ est devenu politiquement chargé de sens, notamment parce que certains y voient un traitement préférentiel de certains groupes au détriment d’autres».

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Il n’a pas créé Facebook pour s’enrichir, mais quand il est devenu très riche, en passe de devenir l’homme le plus riche du monde, c’est devenu un objectif et presque un jeu
David Kirkpatrick, réalisateur du documentaire «L’Empereur de Facebook»
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Mais c’est surtout une logique pro-business qui anime Mark Zuckerberg et, plus largement, le monde de la tech. Le patron de Meta, mais aussi Jeff Bezos, à la tête d’Amazon, ou Tim Cook d’Apple, rejoignent Donald Trump sur un point essentiel: la défense des entreprises américaines face à la concurrence chinoise et aux réglementations européennes, qui s’attaquent entre autres à la régulation de l’intelligence artificielle. Ils espèrent ainsi échapper à certains droits de douane et encourager le président élu à se battre pied à pied contre une Europe qui n’aurait comme unique objectif que de piller les groupes américains.

Derrière ce ralliement à Donald Trump, il y a donc la recherche du profit avant tout. «L’argent a transformé Mark Zuckerberg», analyse son biographe américain, David Kirkpatrick, dans un documentaire intitulé «L’Empereur de Facebook», sorti en 2023. «Il n’a pas créé Facebook pour s’enrichir, mais quand il est devenu très riche, quand il s’est rendu compte qu’il était en passe de devenir l’homme le plus riche du monde, c’est devenu un objectif et presque un jeu. Il continue aujourd’hui d’être obnubilé par sa richesse et son pouvoir.»

Un retour aux sources?

Se pose tout de même la question des idées de Mark Zuckerberg. Contrairement à Elon Musk, lui n’affichait jusqu’ici aucune convictions libertariennes marquées. Mais il a toujours envisagé ses réseaux sociaux comme des espaces où la liberté d’expression est reine. Facebook a permis à des étudiants d’organiser leur vie à l’abri du regard parental et à des révolutions de naître – notamment les printemps arabes. Aujourd’hui, le principe est poussé à son paroxysme, exactement comme le font Elon Musk et Donald Trump: une liberté d’expression sans aucun garde-fou, où toutes les opinions se valent et où les opinions valent les faits.

Zuckerberg souhaite-t-il simplement rejoindre le boys club de Trump, ici entouré (de g. à d.) de Dana White (patron de l'UFC), du chanteur Kid Rock et d'Elon Musk.
Photo: AFP

Se pourrait-il également que le backlash réactionnaire que Mark Zuckerberg accompagne sans sourciller lui convienne? Selon le «New York Times», le PDG a fait part à plusieurs reprises, à des amis et des collègues, de ses inquiétudes concernant un discours progressiste trop dominant à son goût. Pour le journaliste Julien Le Bot, ce n’est pas franchement une surprise, pour peu qu’on regarde dans le rétroviseur. «Si on pense au personnage de la création de Facebook, il était assez brutal, se promenait en claquettes et regardait les filles, célébrant d’ailleurs dans les premiers jours de l’entreprise une espèce d’énergie masculine [qui consiste] à boire de la bière, faire du code [informatique] et travailler sans respecter ni les horaires, ni même parfois le droit du travail.» L’auteur de «Dans la tête de Mark Zuckerberg» voit même dans ce revirement un «retour aux sources», plus qu’un véritable virage.

Un héritier des boys club

Qui se souvient, en entendant les propos masculinistes tenus aujourd’hui par le patron de Meta, de l’étudiant à Harvard qui avait d’abord lancé Facemash, un site pour noter le physique des étudiantes, dans une logique d’un sexisme crasse? Qu’avant d’être un businessman accompli, ce fils d’une psychologue et d’un dentiste a évolué dans une culture geek dont les femmes sont absentes, un boys club fait de junk food, d’horaires décalés et d’alcool consommé dans les grands gobelets rouges typiques de la culture étudiante américaine?

Ceux dont la mémoire flanche pourront la rafraîchir en (re)voyant sur Netflix «The Social Network», excellent biopic de Mark Zuckerberg sorti en 2010, réalisé par David Fincher et scénarisé par la plume acérée d’Aaron Sorkin. Le film s’ouvre sur un tête à tête entre le jeune étudiant, interprété par Jesse Eisenberg, et Erica, sa petite amie. Le personnage du futur créateur de Facebook ne parle que d’une chose: intégrer un «final club», un club social de Harvard. Il est si méprisant pour sa compagne, qui étudie dans une université moins cotée, et si obsédé par la réussite, que la jeune femme le largue.

Non sans lui avoir balancé ses quatre vérités: «Tu deviendras sûrement un éminent informaticien. Mais tu passeras ta vie persuadé que les filles te fuient parce que tu es un nerd. Je te le dis du fond du cœur: ce sera faux. Ce sera parce que tu es un sale con.» Peut-être Aaron Sorkin avait-il déjà saisi, alors que Facebook n’était pas encore sous le feu d’autant de critiques, alors que Mark Zuckerberg avait encore une image de mec cool de la Silicon Valley, ce qui meut réellement le patron de Meta.

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