La Birmanie n’est décidément plus le «pays des dieux». Même si les informations en provenance de ce pays d’Asie du sud-est nous parviennent au compte-goutte depuis le tremblement de terre survenu ce vendredi 28 mars, tout laisse craindre le pire.
L’épicentre de ce séisme de 7,7 sur l’échelle de Richter se trouvait à une quinzaine de kilomètres de Mandalay, l’ancienne capitale du pays, peuplée de plus d’un million d’habitants. Les hôpitaux de cette métropole et ceux de la capitale officielle, Naypyidaw, sont tous engorgés de blessés. La Birmanie, peuplée par 54 millions d’habitants, est souvent sur le passage d’ouragans dévastateurs, comme le cyclone Nargis en 2008. Ses côtes méridionales ont aussi été ravagées par le tsunami du 26 décembre 2004, qui avait touché l’Indonésie, la Thaïlande et le Sri Lanka.
Destructions de grande ampleur
Les images qui nous parviennent sur les réseaux sociaux depuis que la terre a tremblé, à 14h20 heures locale, montrent des temples, des hôtels, et des immeubles détruits. L’ancien palais royal de Mandalay, joyau touristique de cette ville située au centre de la Birmanie, à plus de 600 kilomètres au nord de la capitale économique Yangon, a été considérablement endommagé. Une partie de son mur d’enceinte s’est écroulée.
Mais c’est la conjonction de ce désastre humanitaire et de la guerre civile en cours qui fait le plus peur. Depuis le coup d’Etat du 1er février 2021, l’armée birmane a pris le contrôle du pays et démis de ses fonctions celle qui dirigeait le pays et venait de remporter les élections, Aung San Suu Kyi. Le pays est sous sanctions internationales. C’est donc une Birmanie isolée, fermée, cadenassée par les généraux de la Tatmadaw – le surnom de l’armée birmane – qui vient d’être frappée par le tremblement de terre.
La junte a déclaré l'état d'urgence dans six régions les plus affectées: Sagaing, Mandalay, Magway, le nord-est de l'Etat Shan, Naypyidaw et Bago. Les autorités n'ont en revanche communiqué aucun bilan humain, mais le fait que le pouvoir militaire, isolé depuis le coup d'État de février 2021, lance un appel à l'aide laisse penser qu'il pourrait s'agir d'une catastrophe de grande ampleur. Les infrastructures ferroviaires et de télécommunications sont trés endommagées dans les régions affectées.
Les écueils pour les humanitaires
Trois écueils majeurs s’annoncent déjà pour acheminer l’aide humanitaire que l’Inde, la Chine et l’Union européenne ont déjà promis de mettre à la disposition du gouvernement du Myanmar, le nom officiel du pays.
Le premier écueil est celui de la liberté de mouvement pour les humanitaires, dans des zones où les militaires birmans et les rebelles s’affrontent durement. Au point que les frappes aériennes du régime militaire, soutenu par la Russie, sont de plus en plus fréquentes sur des cibles civiles. La région de Sagaing, autre zone proche de l’épicentre du séisme, est l’un des foyers les plus intenses d’activités militaires. Des écoles y ont été brûlées, et des centaines de civils y ont été pris en otage. Il est dès lors très peu probable que les autorités birmanes laissent passer les convois d’aide sans les filtrer. Le fait que des villes ou villages entiers tenus par les rebelles soient détruits représente, au contraire, une opportunité pour l’actuel pouvoir.
Délabrement sanitaire
Le deuxième écueil est l’état de délabrement sanitaire de ce pays doté, pourtant, d’une bonne élite médicale. La guerre civile y a fait de tels ravages depuis trois ans que de nombreux docteurs et personnels soignants ont fui en direction des zones frontalières de la Thaïlande ou du Bangladesh, pour y trouver refuge. La question des premiers soins, décisive après tout tremblement de terre ou catastrophe naturelle, se pose donc de manière aiguë dans ces zones conflictuelles, déjà dévastées. La possibilité d'un séisme était évoquée depuis plusieurs jours, suite à des alertes. Plusieurs ambassades avaient mobilisé leurs responsables de la sécurité dans les quartiers, notamment à Yangon.
Troisième écueil: l’information. Jusque-là, l’ampleur des dégâts est surtout connue via les réseaux sociaux. Les images de temples, d’hôtels, de bâtiments détruits nous parviennent depuis quelques heures. A Mandalay, l’un des ponts principaux de la ville s’est brisé. Que se passe-t-il en revanche dans les campagnes, dans les zones plus éloignées?
Trou noir happé par la guerre
La Birmanie est depuis trois ans un trou noir pour les acteurs humanitaires et pour les diplomates. Aung San Suu Kyi est en détention, et elle a été plusieurs fois condamnée. L’homme fort du pays, le général Min Aung Hlaing a jusque-là avant tout chercher à nouer des liens avec Moscou et Pékin.
C’est en Birmanie, et non en Thaïlande, pays également touché (y compris sa capitale Bangkok), que les dégâts humains et matériels s’annoncent les plus considérables. Point important à avoir en tête: tous les pays voisins de la Birmanie, à commencer par l’Inde, la Chine et la Thaïlande, ont les moyens logistiques pour acheminer une aide rapide sous toutes ses formes. L’instrumentalisation de la catastrophe par l’armée, et le tri dans les secours, sont malheureusement des options qu’il est impossible d’écarter de la part de la junte militaire birmane. Laquelle va sans doute sauter sur l’occasion pour repousser à nouveau l’organisation de prochaines élections.
Le pays des dieux est-il devenu le pays maudit par les dieux?