Entre Paris et Alger
Les juifs d'Algérie, mémoire, blessures et injustices

Maladie diplomatique ou coïncidence malheureuse ? Testé positif au Covid, le grand-rabbin de France n'accompagnera finalement pas Emmanuel Macron en Algérie. La polémique avait éclaté dès l'annonce de sa participation.
Publié: 25.08.2022 à 17:04 heures
L'Algérie, pays exportateur de gaz, voit son importance renforcée par la guerre en Ukraine. Le pays peine toutefois à augmenter sa production, ce qui limite le potentiel de ses exportations
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Haïm Korsia s’en défend: testé positif au Covid-19 juste avant d’embarquer dans l’avion présidentiel français qui doit atterrir à Alger en fin d’après midi ce jeudi 25 août, le grand-rabbin de France n’est pas victime, à la dernière minute, d’une maladie diplomatique. Officiellement, son test positif, même s’il est asymptomatique, l’empêchait de poser le pied sur le sol algérien qu’il se réjouissait de retrouver, puisque sa famille est originaire d’Oran et de Tlemcen.

Le visa algérien lui avait été accordé et les autorités, de ses propres dires, «se félicitaient de sa venue». Fin de l’histoire? Sûrement pas. Car à Paris, beaucoup y voient la conséquence d’une toute autre maladie: celle de l’antisémitisme attisé par les islamistes algériens, et des tensions toujours très fortes entre l’Algérie et Israël. Alors que le Maroc voisin a, lui, normalisé ses relations avec l’État hébreu en 2020.

Indéniable réalité historique

Juifs d’Algérie: ce terme pointe une réalité historique indéniable, puisque la présence d’une communauté juive sur son territoire remonte à l’antiquité, en lien avec la présence romaine, puis à l’essor du judaïsme dans les régions montagneuses berbères, lorsque communauté juive et musulmane se retrouvèrent chassées d’Espagne et rejetées de l’autre côté de la Méditerranée au XVe siècle, lors de la «reconquista» catholique.

Mais parler de juifs en Algérie désigne aussi un autre fait, à la fois incontournable et historiquement lourd de conséquences: le lien entre la communauté juive locale et la colonisation française à partir de 1830. Les personnes de confession juive sont alors moins de 20'000. Elles se rapprochent des colonisateurs et reçoivent, en 1870, la nationalité française par le décret Crémieux (qui sera ensuite temporairement abrogé par le régime de Vichy durant la seconde guerre mondiale). Un siècle plus tard, lors de l’exode vers la France qui suivit l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962, 150'000 juifs séfarades «pieds-noirs» prennent, presque tous, le chemin de la métropole.

Polémique alimentée par les islamistes

Quel est le rapport entre cette réalité historique et la polémique déclenchée par l’annonce de la présence du grand-rabbin Korsia aux côtés d’Emmanuel Macron à Alger, puis Oran? Il tient, bien sûr, au poids des islamistes dans le débat politique algérien, depuis la guerre civile des années 1990-2000.

L’un des premiers à regretter la venue du religieux juif a ainsi été le chef du parti islamiste «Mouvement de la société pour la paix», Abderrazak Makri, ex-candidat à la présidentielle, proche des «Frères musulmans», connu pour s’être félicité du retour des Talibans en Afghanistan.

Autre interférence mal vécue par le pouvoir algérien, dominé par les militaires: celle de l’ex candidat français à la présidentielle Eric Zemmour, issu d’une famille juive d’Algérie et toujours prompt à accuser le pays d'origine de ses parents de tous les maux, notamment en matière d’immigration et de déni historique.

Dernier point géopolitique: Israël. L’Algérie a toujours été un pays d’accueil de la cause palestinienne. Tel Aviv a plusieurs fois accusé Alger de soutenir financièrement et militairement le Hamas. Impossible, dans un tel imbroglio de peurs, de rancœurs et de menaces, d’espérer un apaisement à l’image de ce qui s’est passé au Maroc et de ce qui pourrait advenir en Tunisie, où l’on parle de plus en plus de normalisation avec l’État hébreu.

Un risque politique assumé

La communauté juive d’Algérie a quasi disparu. Emmanuel Macron, en invitant le grand-rabbin Korsia, savait-il qu’il prenait un risque politique? La réponse est évidemment oui, et ce dernier jure d’ailleurs qu’il prévoyait bien de participer au voyage jusqu’à son fameux test PCR. Logique. Normal. Impossible d’espérer trouver un compromis des deux côtés de la Méditerranée sur les douloureuses questions de mémoire sans aborder le sort de cette communauté trois fois victime: victime de l’antisémitisme, victime parce qu’associée à la colonisation française, et victime parce qu’associée aujourd’hui à Israël.

Une maladie diplomatique peut toujours éviter un accident géopolitique. Soixante ans après l’indépendance algérienne, elle ne peut pas, en revanche, supprimer l’intolérance, les manipulations religieuses, l’héritage historique empoisonné et les règlements de comptes politiques.

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