Esther Bühlmann (43 ans) a grandi à Berne et a fait des études de travail social. En 2016, elle s'est rendue aux Philippines en tant que stagiaire pour une fondation. Très vite, elle est devenue l'assistante du fondateur suisse Thom Kellenberger.
À côté de cela, elle est également devenue active dans le travail de rue pour les enfants touchés par la pauvreté. En 2017, elle a quitté son appartement suisse pour aller vivre aux Philippines. «J'ai vite remarqué que je pouvais faire beaucoup plus aux Philippines», affirme-t-elle.
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Petit appartement dans un quartier de classe moyenne
Durant la pandémie, elle retourne auprès de sa famille en Suisse et fonde en mai 2022 sa propre œuvre d'entraide. Cette association sera financée par des dons et axée sur la prostitution des enfants à Mindanao. Depuis septembre 2022, elle vit dans son propre petit appartement avec balcon dans un quartier de la classe moyenne de la ville de Cagayan de Oro sur l'île de Mindanao. Le loyer mensuel coûte la modique somme d'environ 140 francs, plus environ 70 francs pour l'eau et l'électricité.
«La vie ici est très bon marché. J'ai déjà eu des appartements pour 20 francs. Mais cela ne ressemblait pas à ça», dit-elle en souriant. En comparaison, son appartement actuel est presque luxueux, même si la douche ne fonctionne pas et qu'elle ne dispose que d'une plaque de cuisson à deux feux, placée sur la table à manger de son studio. «De toute façon, la plupart du temps, je mange à l'extérieur avec des amies. Cela ne coûte presque rien.» Elle achète généralement des fruits et légumes, ainsi que d'autres choses, sur le chemin du retour après le travail, dans l'un des nombreux stands de la rue.
À la chasse aux clients
La rue est son lieu de travail. C'est là que l'assistante sociale va à la rencontre des enfants des rues, qu'elle tente de sortir de la misère et plus particulièrement des filles mineures qui se prostituent. Elle signale notamment à la police les clients et les gérants d'hôtel qu'elle filme et photographie. «Je suis un élément perturbateur pour les clients et c'est mon but», déclare Esther Bühlmann. Ce n'est pas un acte sans danger, car en cas de condamnation, les clients risquent de lourdes peines. Contrairement à d'autres endroits des Philippines, les clients de Mindanao sont principalement des autochtones, rarement des touristes sexuels, précise-t-elle.
Sans grandes craintes, elle ajoute: «Au travail, je porte un masque pour me protéger et je me déplace en scooter. Si la situation devient critique, je m'en vais rapidement.» En plus de cela, la Suissesse a développé ces dernières années un bon réseau avec les responsables de la ville et de la police et peut compter sur leur soutien. «Même la population touchée par la pauvreté dans les bidonvilles sait désormais ce que je fais pour ces jeunes filles et me prend sous sa protection si quelqu'un me fait des remarques déplacées», ajoute-t-elle.
Prioriser un retour à l'école
Malgré son combat, cette dernière sait qu'elle ne peut pas sauver tout le monde et que de nombreuses filles quitteront l'école pour recommencer à se prostituer. Soit parce qu'elles n'ont pas de perspectives ou parce qu'elles constatent que beaucoup de leurs collègues gagnent ainsi leur vie sur le trottoir. Esther Bühlmann tente néanmoins de motiver quelques-unes à fréquenter l'école de ses collègues suisses ou à suivre une formation, ce qui pourrait améliorer considérablement et durablement leur avenir. «Si ce n'est pas possible, j'essaie au moins de leur offrir une protection, de leur distribuer des préservatifs ou de les accompagner chez le médecin ou la police si elles ont été maltraitées ou violées. En cas d'urgence, il m'arrive aussi de les placer contre leur gré dans une institution», explique-t-elle.
L'assistante sociale sait que ces enfants ne sont pas en mesure d'évaluer les traumatismes engendrés par une telle activité, ni du fait que le trottoir peut avoir une issue fatale. Elle raconte ainsi l'histoire de Cristine qui, à l'âge de 15 ans, a été presque tuée à coups de pierre par un client et jetée inconsciente à la mer. Heureusement, elle a été retrouvée à temps et sauvée. «Aujourd'hui, elle va bien. Elle termine l'école et veut devenir assistante sociale. Cristine est ma première collaboratrice payée. Elle m'accompagne parfois dans la rue et raconte son histoire aux filles. Elle peut ainsi faire bouger les choses.»
Se ressourcer et se déconnecter à la plage
Plongée dans la misère quotidienne, une telle issue représente un réel remontant pour la Bernoise. C'est entre autre ce qui la pousse dans son combat pénible et non sans danger dans son nouveau pays. Esther Bühlmann n'envisage pas de retourner en Suisse. Elle aime la population, s'enthousiasme pour la forêt vierge, les chutes d'eau et plages de sable de rêve à proximité. «Il est facile de se faire des amis ici, d'autant plus que je parle leur langue. J'ai souvent rendez-vous avec mes amis pour un repas ou pour me rendre en scooter sur une plage proche afin de me changer les idées», explique la célibataire.
Les discussions avec d'autres travailleurs sociaux l'aident à faire face aux destins éprouvants et aux circonstances difficiles de ses protégées. «Il ne m'est pas facile de prendre du recul et de prendre du temps pour moi. Quand tout me semble trop difficile, je me retire un jour ou deux dans mon appartement. Je suis ma propre patronne et je peux me permettre de le faire si nécessaire», confie-t-elle. En temps normal, la Suissesse travaille tous les jours et reste parfois dans la rue toute la nuit. Elle ne se verse pas de salaire. «Mon œuvre de bienfaisance est encore jeune et tous les dons sont nécessaires pour son développement.»
Visites en Suisse et mauvaise conscience
Ester Bühlmann finance sa subsistance en louant un bien immobilier en Suisse, qu'elle possède en partie grâce à une avance sur héritage. «Pour ma vie ici, c'est suffisant. En Suisse, je ne pourrais pas vivre avec ça», explique l'assistance sociale. Deux fois par an, elle se rend dans son lieu d'origine, rend visite à sa famille et à ses amis et s'efforce d'obtenir d'autres dons. Ce n'est pas sans mauvaise conscience qu'elle quitte ses protégés. «J'espère pouvoir bientôt m'offrir une remplaçante, afin qu'en mon absence, une personne supplémentaire soit à l'œuvre pour les enfants de Cagayan de Oro.»
La prochaine étape pour la Bernoise est d'acheter un camping-car d'occasion grâce aux dons. Non pas pour voyager ou vivre, mais pour son travail de lutte contre la prostitution enfantine. «Pour que les enfants des rues puissent se reposer dans un endroit sûr, dormir et avoir de temps en temps un toit sur la tête, mais aussi se laver et recevoir des soins médicaux si nécessaire», ajoute-t-elle.
Elle-même a l'intention de se reposer prochainement au bord du lac de Thoune, dans la maison de vacances de sa famille. Elle se réjouit de retrouver la Suisse et sa famille, et tout particulièrement sa nièce et son neveu. La Suissesse n'a pas d'enfants à elle, mais deux filleuls à Mindanao. Elle dit en riant: «Malgré tout l'amour que je porte aux enfants, j'ai aussi besoin parfois de dormir et d'avoir du temps pour moi. J'aime mes enfants des rues et je m'occupe d'eux. Cela me suffit.»