Obsessions présidentielles 1/3
Ce que cache la loyauté absolue exigée par Donald Trump

Donald Trump a compris la leçon de son premier mandat. Plus question de s'entourer de collaborateurs qui ne lui doivent pas tout. La loyauté est son mot d'ordre. Premier volet de notre voyage dans les obsessions de POTUS, le «President of the United States».
Publié: 16.11.2024 à 20:04 heures
|
Dernière mise à jour: 16.11.2024 à 20:07 heures
1/6
La première soirée de gala présidée par Donald Trump a Mar-a-Lago était celle de l'Institut «America First Policy».
Photo: keystone-sda.ch
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Matt Gaetz et Pete Hegseth sont dans le même bateau. Le premier, nominé par Donald Trump pour devenir son «Attorney General» (ministre de la Justice), est surtout réputé pour son agressivité envers les magistrats et pour un scandale sexuel qui lui a valu de faire face à une enquête parlementaire. Le second, couvert de tatouages, est un ancien membre des forces spéciales dont la qualification comme futur Secrétaire de la Défense est gravement entachée par ses écrits dans lesquels il dénonce «l’assaut des commandos libéraux» sur la société américaine, que l’armée devrait mettre au pas comme «ennemis de l’intérieur».

Le problème, pour leurs détracteurs, est que les deux intéressés – que le Sénat doit encore confirmer, même si le président a demandé à la majorité Républicaine de ne pas exercer ce droit – ont été justement choisis par Donald Trump pour leurs attaques au vitriol contre leurs adversaires, et leur loyauté absolue à son égard. «Ces deux nominations sont à l’image de la future administration Trump juge l’éditorialiste du «New York Times» Michelle Goldberg. Une administration assurée d’être chaotique, vengeresse et corrompue. Ce dont nous n’aurions jamais dû douter».

«Le président le plus impulsif»

Pourquoi une telle obsession de la loyauté chez le «président élu»? Le fameux journaliste Bob Woodward, qui révéla en 1972 le scandale du Watergate avec son collègue Carl Bernstein, l’explique dans son dernier livre «War» (Guerre), consacré aux guerres d’Ukraine et de Gaza vues depuis la Maison Blanche. Pour lui, Donald Trump est pire que Richard Nixon, le président républicain qui dut, le 9 août 1974, démissionner face au scandale des écoutes téléphoniques du siège du parti Démocrate. Pour Woodward, l’ex-promoteur new-yorkais, débarqué en politique après avoir amassé une fortune, dont la vie professionnelle a été marquée par les procès et les déboires avec la justice, n’a rien en commun avec le politicien professionnel Nixon. «Trump est le président le plus imprudent et le plus impulsif de l’histoire américaine bien pire que Richard Nixon» écrit-il. D’où son désir d’être entouré de fidèles qui lui doivent tout, et qui ne chercheront pas à entraver ses impulsions.

La loyauté avant tout

L’obsession de la loyauté, chez Trump, n’est pas nouvelle. C’est son incapacité à l’obtenir de son entourage direct durant son premier mandat, entre 2016 et 2020, qui l’a rendu encore plus exigeant sur ce plan. Retour en arrière. En avril 2018, deux ans après son élection surprise face à Hillary Clinton, le président convoque à la Maison Blanche James Comey, le directeur du FBI, la police fédérale. «J’ai besoin de loyauté, j’attends de la loyauté. J’estime que la loyauté est plus importante que tout le reste – plus que l’intelligence, plus que le dynamisme et plus que l’énergie» assène-t-il devant celui dont la mission, au service de la sécurité nationale, exige impartialité, respect scrupuleux des faits et prise en compte des libertés publiques. Le résultat ne se fit pas attendre: James Comey fut renvoyé. Et son successeur, Christopher Wray, est aujourd’hui sur la liste des cibles du futur chef de l’État, pour être resté au service de l’administration Biden.


D’autres limogeages brutaux eurent lieu entre 2016 et 2020, y compris ceux de conseillers présumés proches comme le polémiste d’extrême droite Steven Bannon, désormais de retour dans le giron trumpiste. L’essayiste Tim O’Brien a consacré en 2005 un livre au vainqueur du 5 novembre: «The art of being Donald». Il confirme que la loyauté est, pour Trump, le baromètre suprême: «Je pense qu’il définit cela comme une allégeance. Pas une allégeance au drapeau ou au pays, c’est une allégeance à Trump». Le lobbyiste réactionnaire Roger Stone, présent dans la nuit du 5 au 6 novembre à West Palm Beach, pour le premier discours du président élu, l’a répété aussi ce soir-là devant la presse, dans le lobby de l’hôtel Hilton voisin du Palais des Congrès. «Être loyal, c’est soutenir Donald Trump dans tout ce qu’il dit et fait. Quoi qu’il arrive. C’est pour lui la seule façon de venir à bout des ennemis de l’intérieur».

Le résultat de son itinéraire

Pour l’influent média en ligne Politico, cette exigence de loyauté est d’abord le résultat de son itinéraire personnel. Trump s’est construit contre son père Fred, même si celui-ci l’a beaucoup plus aidé financièrement qu’il ne le prétend. Il a bâti son empire immobilier contre les élites new-yorkaises. «Congénitalement méfiant, élevé dans l’arène impitoyable de la politique new-yorkaise des années 1960, 1970 et 1980, où l’on payait à la tâche et où l’on se livrait à des coups de poignard dans le dos, Trump a été éduqué et formé par certains des praticiens les plus engagés, les plus efficaces et les plus répréhensibles estime Politico. Le sens de la loyauté intéressée qu’il a développée est transactionnel au point d’être éphémère, une voie presque toujours à sens unique qui peut se doubler d’une porte tournante – une sorte de souplesse qui le fait paraître parfois proche de l’indulgence».

La famille, bien sûr, est le premier réceptacle de cette demande de loyauté. Pas étonnant donc que son fils aîné Donald Jr, sa fille Ivanka (aujourd’hui devancée, dit-on par sa belle-fille Lara, épouse d’Eric Trump et coprésidente du comité national du parti Républicain) ou son gendre Jared Kushner (le mari d’Ivanka) soient autant écoutés que les hauts fonctionnaires, les généraux, ou les élus. Mais le plus surprenant est que la méthode Trump laisse place au pardon. Le président élu aime s’entourer de ceux qui, après l’avoir combattu, ont fini par se soumettre. Le sénateur de Floride Marco Rubio, nominé pour le poste de chef de la diplomatie, avait jadis comparé son nouveau patron «à un autocrate du tiers-monde». La future coordinatrice nationale du renseignement Tulsi Gabbard, ex-élue démocrate, avait mis en doute «ses capacités». Mais l’un et l’autre sont devenus des vassaux: «Trump a toujours utilisé la stratégie du «Diviser pour régner» complète Andrei Korobkov, de l’université du Tennessee. Il fonctionne ainsi avec ses conseillers comme avec ses partenaires internationaux».

La question de la Constitution

L’obsession de Donald Trump est surtout de s’entourer de collaborateurs loyaux qui ne prendront pas ensuite leurs distances avec lui sous prétexte de leur fidélité à la Constitution. Pour y parvenir, deux méthodes: le recrutement de personnalités qui lui doivent tout comme Matt Gaetz ou Pete Hegseth, et la menace permanente d’une révocation. «Trump est adepte de la méthode soviétique. Il a toujours prospéré en veillant à ce que personne ne se sente en sécurité dans son travail – et en le renvoyant sur un coup de tête dès qu’une voix plus loyale émergeait du cercle rapproché de Trump» notait fin octobre l’activiste démocrate Max Burns dans «The Hill», une publication politique respectée de Washington.

L’éditorialiste du New York Times Michelle Goldberg conclut: «Il ne faut pas se tromper: toutes les nominations de Trump ont pour seul objectif de consolider son pouvoir et d’éliminer les Républicains plus modérés. Paradoxalement, notre meilleure protection contre un État-Trump est aujourd’hui ce que la loyauté cache souvent: l’incompétence».

Prochain épisode: La famille Trump, les dessous de la nouvelle dynastie

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la