Douloureux souvenirs
Il y a 50 ans, le «Bloody Sunday» endeuille l'Irlande du Nord

Dimanche 30 janvier 1972, Londonderry. Peu après 16H30, des parachutistes britanniques ouvrent le feu sur une manifestation pacifique de militants catholiques, faisant 13 morts. Le «Bloody Sunday» fait basculer l'Irlande du Nord dans la tragédie.
Publié: 29.01.2022 à 10:29 heures
Un militant de l'IRA assis dans son bureau dont un mur est couvert d'affiches de propagande de l'organisation clandestine. Le drame du "Bloody Sunday" a suscité une vague d'adhésion au groupe paramilitaire
Photo: -

Voici, à partir de dépêches de l'AFP de l'époque, le récit de ce «Dimanche sanglant», moment-clé des trois décennies de «Troubles» ayant opposé républicains, surtout catholiques, partisans d'une réunification avec l'Irlande, et unionistes protestants, défenseurs de l'appartenance de l'Ulster à la Couronne britannique.

Manifestation pacifique

Ce dimanche-là, la manifestation à l'appel d'associations pour la défense des droits civiques des catholiques a été interdite par le gouvernement de la province britannique. Laquelle est dominée politiquement, économiquement et socialement par les protestants depuis la partition de l'île en 1921.

Ils sont pourtant plusieurs milliers à défiler dans les rues du Bogside, le ghetto nationaliste de Londonderry (Derry pour les républicains) où, plus de deux ans auparavant, a commencé une révolte contre la discrimination pratiquée par le «gouvernement d'apartheid» protestant.

Après des émeutes intercommunautaires et le début des «Troubles» dans la province, l'armée britannique y a été déployée à l'été 1969.

Avec à leur tête Bernadette Devlin, jeune députée catholique au Parlement de Westminster, les manifestants du jour brandissent des pancartes réclamant la fin de l'internement sans procès de militants de la communauté catholique.

Ce régime, imposé en août 1971 par Londres en Irlande du Nord, symbolise alors pour le mouvement républicain, l'arbitraire britannique et la «résistance nationale».

«Stop, stop, go home»

Le désastre se joue peu après 16H30. Des parachutistes britanniques du premier bataillon amenés en renfort de Belfast sont postés au croisement de Bishop Street et de Rossville Street, à la lisière du Bogside.

Alors que se termine la manifestation - la plus grande jamais organisée à Londonderry -, des jeunes quittent le flot du cortège pour se diriger vers le poste avancé des soldats. La situation dégénère.

D'une voix stridente, Bernadette Devlin donne l'ordre de dispersion, raconte le journaliste de l'AFP. «Elle est montée sur une chaise, elle est toute petite, échevelée, la bouche démesurément ouverte pour crier: +stop, stop, go home+».

Mais les paras sont sortis de derrière leurs barricades. Ordre leur a été donné d'investir le Bogside.

«Atmosphère d'apocalypse»

Une fois dans cette forteresse du catholicisme en Ulster, poursuit l'agence, manifestants et militaires disparaissent dans un dédale de petites rues misérables, mal éclairées et où depuis des années nul policier, nul soldat n'a osé pénétrer.

Alors, soudain éclate le drame. On tire, on hurle, on fuit. Dans la nuit, le froid, le brouillard des gaz lacrymogènes et une atmosphère d'apocalypse.

Le bilan de la fusillade est de 13 civils tués, dont six âgés de 17 ans. Tous abattus par balles, la plupart dans le dos. Un autre blessé est mort quelques mois plus tard d'une tumeur. On relève également seize blessés, plusieurs gravement atteints.

Le silence s'est abattu sur Londonderry. La seconde ville d'Ulster s'est refermée sur elle-même. «Derrière les façades décrépites des maisons du Bogside, battues par le vent, les gens se sont cloitrés dans la peur et la haine», écrit l'AFP au lendemain de la tuerie.

«Massacre collectif»

Pour les habitants, il ne fait aucun doute que les parachutistes ont «perdu la tête» et tiré sans discrimination sur tout ce qui bougeait.

Bernadette Devlin affirme, elle, que «ce fut un massacre collectif commis par l'armée britannique». Denis Bradley, un prêtre catholique témoin de la tragédie accuse les parachutistes d'avoir tiré «aveuglément» et «presque avec plaisir» sur la foule.

Un député au Parlement de l'Irlande du Nord Ivan Cooper, déclare que les soldats ont tiré sur lui alors qu'agitant un mouchoir blanc, il tentait de porter secours à un blessé.

Un porte-parole de l'armée assure de son côté que les soldats ont répondu à des tirs de manifestants armés, désignant les «terroristes» de l'IRA. L'organisation clandestine - qui verra les adhésions affluer -, se défend d'avoir provoqué le «massacre» et annonce des représailles.

Acte «injustifiable»

La version de l'armée, largement reprise dans les conclusions très contestées d'une enquête menée à la hâte en 1972, a finalement été contredite dans un rapport d'enquête publié en 2010.

Le rapport établit, après douze ans d'investigations, que les parachutistes britanniques ont tiré les premiers. Les victimes quant à elles n'étaient pas armées et n'étaient pas des poseurs de bombes de l'IRA.

Lors d'excuses solennelles aux familles, le Premier ministre David Cameron a qualifié l'action de l'armée comme «injustifiable».

(AFP)

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