En réaction à la guerre d'agression russe contre l'Ukraine, l'Occident a sanctionné plus de 1000 personnes accusées d'appartenir au cercle de pouvoir de Vladimir Poutine.
Mais certains de ses puissants partisans ont été épargnés par les restrictions. C'est le cas de Vladimir Potanine (non ce n'est pas une parodie), l'un des Russes les plus riches du monde, avec une fortune de 26 milliards de dollars. Cet ami de longue date de Poutine, qui s'est notamment distingué comme investisseur pour les Jeux olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi, n'a été inquiété ni par les Etats-Unis ni par l'UE - et donc ni par la Suisse, puisqu'elle a repris les sanctions européennes.
Potanine profite de la guerre en Ukraine
Seuls l'Australie et le Canada ont placé Vladimir Potanine sur la liste des sanctions dès l'entrée en vigueur de celles-ci. Cet été, la Grande-Bretagne leur a emboîté le pas, justifiant ainsi sa décision: «Potanine étend sa richesse tout en soutenant le régime de Poutine.»
En effet, Vladimir Potanine a profité de la guerre en Ukraine comme personne: en mai, il a racheté l'institut financier Rosbank à la banque française Société Générale, qui voulait quitter la Russie à cause de la guerre. Presque simultanément, il a acquis la banque numérique Tinkoff à un prix ridicule. Le fondateur de l'entreprise, Oleg Tinkov, a été contraint de vendre parce qu'il avait osé critiquer la campagne de Poutine en Ukraine.
Il n'y a pas d'explication officielle sur la raison pour laquelle les Etats-Unis, l'UE et la Suisse épargnent Vladimir Potanine. Une fonctionnaire de l'UE fait savoir que la «procédure détaillée» qui décide d'une inscription sur la liste des sanctions n'est «pas publique». Le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) ne veut pas non plus s'exprimer sur les cas individuels ou les discussions au sein de l'UE. Le ministère américain des Finances a laissé notre demande sans réponse.
Des intérêts économiques en jeu
Malgré ce manque de transparence, les raisons du traitement spécial de Vladimir Potanine sont évidentes: il s'agit d'intérêts économiques. Vladimir Potanine contrôle le groupe minier russe Norilsk Nickel, l'un des plus grands producteurs mondiaux de platinoïdes importants, comme le nickel et le palladium. Ces derniers sont indispensables aux entreprises industrielles occidentales: presque aucun produit technologique ne peut s'en passer.
«On peut supposer que Potanine est épargné parce que l'Occident ne veut pas mettre en danger son approvisionnement en platinoïdes», explique Oliver Classen, porte-parole de l'organisation non gouvernementale Public Eye. Et de poursuivre: «Si tous les oligarques avaient été évalués selon les mêmes critères, Vladimir Potanine aurait du figurer en tête de la liste des sanctions.»
Pour Hans-Peter Portmann, conseiller national PLR et vice-président de la Commission de politique extérieure, le cas Potanine prouve que la liste des sanctions de l'UE est en partie arbitraire. «La Suisse ne devrait donc pas reprendre cette liste sans la vérifier, mais plutôt boycotter certains produits et matières premières en provenance de Russie.»
Potanine invité au Kremlin
Le cas de Vladimir Potanine prouve également que de telles mesures prises par la Suisse pourraient tout à fait avoir un impact: les matières premières extraites par Norilsk Nickel sont en effet vendues en Europe, en Asie et en Amérique par le biais de sa filiale Metal Trade Overseas SA - une entreprise dont le siège se trouve dans le canton de Zoug.
Le fait que Vladimir Potanine soit épargné pourrait par ailleurs s'avérer être une bénédiction pour les oligarques qui ont été sanctionnés. Certains d'entre eux tentent de contester juridiquement les sanctions. Leur principal argument: les sanctions sont arbitraires et illégitimes. «L'exemple de Potanine vaut évidemment son pesant d'or pour étayer cette argumentation», explique Oliver Classen.
La liste des sanctions de l'UE elle-même fournit de précieuses munitions aux avocats des oligarques. Sur celle-ci, la sanction d'Andreï Melnitchenko, le Russe le plus riche avec Vladimir Potanine, est justifiée par le 24 février, lorsque Poutine a convoqué trois douzaines d'oligarques au Kremlin: «Le fait qu'il (Melnitchenko) ait été invité à cette réunion montre qu'il est un membre du cercle le plus proche de Vladimir Poutine.» Problème: Vladimir Potanine était également présent à ladite rencontre.
(Adaptation par Lliana Doudot)