Les habitants de la ville russe de Tikhvine, à trois heures de route à l’est de Saint-Pétersbourg, sont très inquiets. L’avenir des deux plus gros employeurs de la localité est incertain. L’immense usine de wagons de marchandises de la société russe United Wagon Company, qui s’étend sur plus de 230'000 mètres carrés, est à l’arrêt depuis des mois, car certaines pièces de véhicules essentielles ne sont plus livrées de l’étranger. Près de 7000 employés craignent pour leur emploi.
Ikea exploite depuis des années une grande usine de meubles à Tikhvine. Le géant suédois de l'ameublement souhaite désormais la vendre. Les médias locaux rapportent qu’Ikea a déjà licencié 500 personnes, soit la moitié de son personnel. Ikea confirme cette information à Blick.
En raison de l’arrêt des deux usines, de nombreux sous-traitants de la région, représentant plusieurs milliers d’emplois, sont également au chômage technique. Ilya Matveev, chercheur au laboratoire de sociologie de Saint-Pétersbourg, estime que des temps difficiles attendent la région. «Si les deux usines ne peuvent pas rouvrir, Tikhvine deviendra une ville fantôme», explique l’auteur d’une analyse de l’EPFZ sur l’état de l’économie russe.
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Baisse drastique des salaires
Selon plusieurs médias non gouvernementaux russes, la criminalité et les problèmes d’alcool augmentent déjà dans la région avec la hausse du chômage. «Je pense que le gouvernement va essayer de trouver une solution – par exemple la reprise de ces entreprises par les Chinois ou quelqu’un d’autre. Mais un certain exode peut tout de même avoir lieu», explique l’économiste et spécialiste de la Russie Vasili Astrow à Blick. Il travaille à l’Institut de Vienne et est spécialisé dans les comparaisons économiques internationales.
Mais même si de nombreux Russes pourront conserver leur emploi, ils devront à l’avenir se serrer la ceinture. «En Russie, il a toujours été vrai qu’en temps de crise, ce sont surtout les salaires réels qui baissent et non l’emploi», explique l'économiste. Aujourd’hui déjà, de nombreux employés sont en chômage partiel et ne touchent plus qu’une fraction de leur salaire.
Le pays privé de son avenir à cause de la guerre?
L'analyse de l'EPFZ montre que la population russe risque d'être confrontée à une situation économique très difficile dans les mois à venir. «Le régime de sanctions, ou plutôt la guerre, prive le pays de son avenir. Sur le plan économique, les sanctions et la guerre ont pour conséquence de faire reculer la Russie de plusieurs années, voire de plusieurs décennies», écrit Ilya Matveev. De telles estimations ne sont pas bien accueillies par le gouvernement russe. Le chercheur a donc quitté son pays et ne révèle pas l’endroit où il se trouve actuellement.
Chute de la production
Le manque de composants en provenance de l’ouest est un énorme problème pour la Russie, car de nombreuses industries locales dépendent énormément de ces importations. En raison de la pénurie des composants, pratiquement toutes les usines automobiles sont à l'arrêt. La production de réfrigérateurs ou de machines à laver a également diminué de plus de moitié en juin, comme le montre une statistique de l’Etat russe.
L’exportation d’acier a chuté de près de 30% par rapport à l’année précédente et la production de bois scié a même baissé de 80%. Dans d’importantes régions industrielles, la production totale a nettement reculé depuis l'invasion de l’Ukraine: de 16% dans la région de Moscou et même de 25% dans la région de Kalouga.
Malgré cette conjoncture défavorable, la Russie affiche un taux de chômage de seulement 3,9% pour le mois de juillet, ce qui constitue un niveau historiquement bas. En outre, le produit intérieur brut (PIB) ne devrait baisser cette année que de 4 à 6% – donc moins que les estimations ne le laissaient supposer il y a quelques mois. Mais ces deux chiffres sont trompeurs, car le taux de chômage et le niveau de PIB réagissent avec un certain retard.
De nombreux experts prévoient que l'économie russe devrait se contracter sensiblement l'année prochaine. Il est toutefois difficile de faire des pronostics. D'autant plus que les chiffres publiés par la Russie sont à prendre avec des pincettes. Par exemple, pour le mois de juillet, le pays affiche une légère croissance de 0,6%. Mais les experts ont des doutes.
Dangereuse dépendance aux revenus du gaz et du pétrole
Les stocks de matériaux des entreprises se vident de plus en plus. Les exportations russes se sont effondrées et les entreprises gagnent nettement moins d’argent à l’étranger en raison du rouble surévalué. Les revenus du gaz et du pétrole, si importants pour la Russie, diminuent également. Au cours des sept premiers mois de l’année, la balance des paiements de la Russie affichait encore un excédent de 7,7 milliards. Mais le vent a tourné. En août, le pays a dépensé 5,5 milliards de plus qu’il n’a gagné à l’étranger.
La grande dépendance de la Russie vis-à-vis des revenus du pétrole et du gaz va devenir problématique. L’Occident va cesser d’importer de Russie et le reste de l’industrie n’est pas assez compétitif.
«La Russie n’a pas ou peu de savoir-faire dans de nombreux domaines, notamment dans la haute technologie ou dans le secteur pharmaceutique. Les importations en provenance de Chine ne constitueront que partiellement un amortisseur», explique Vasili Astrow. Et le pays manque cruellement de spécialistes, ce qui ne fera qu’aggraver la situation – à condition que les frontières restent ouvertes. Les pronostics les plus pessimistes prévoient même que l’Etat russe pourrait faire faillite dans les années à venir.
(Adaptation par Quentin Durig)