Limiter les dégâts: c’est actuellement la priorité absolue du gouvernement américain. Début avril, une série de dossiers secrets contenant des évaluations militaires sur la guerre en Ukraine et des rapports de la CIA a fait surface. Certains de ces documents ont déjà été publiés début mars sur Discord, un site de discussion apprécié des amateurs de jeux vidéo, selon la plateforme d’investigation Bellingcat.
Il s’agit de l’une des fuites de documents du renseignement les plus importantes du siècle. C’est ce qu’affirme Thomas Rid de l’université Johns-Hopkins, au magazine américain «The Economist». Selon lui, seuls les trois événements suivants sont équivalents en termes d’importance: en 2013, le vol de données d’Edward Snowden – un ancien employé de la NSA; en 2016 et en 2017, la publication d’outils de piratage de la NSA et de la CIA.
Des informations sensibles divulguées
Les documents les plus sensibles décrivent l’état de la défense aérienne ukrainienne. Celle-ci est en difficulté après avoir repoussé des attaques de drones et de missiles russes à plusieurs reprises. La capacité de l’Ukraine à protéger ses lignes de front sera «fortement limitée» jusqu’au 23 mai, conclut le document.
Lundi, le gouvernement ukrainien a réagi en tentant de minimiser les informations qui ont fuité. Mykhaïlo Podoliak, un conseiller de haut rang du président ukrainien Volodymyr Zelensky, a déclaré que les conclusions des documents étaient «basées en grande partie sur des informations fictives» et n’avaient rien à voir avec les vrais plans militaires de l’Ukraine.
La diffusion de ces informations confidentielles concerne également l’état des troupes russes. Elles auraient perdu plus de deux fois plus de soldats que l’Ukraine. La «campagne épuisante» de la Russie à l’Est «se dirige vers une impasse». Conséquence: les services de renseignement américains prédisent «une guerre de longue durée au-delà de 2023».
Présence de l’OTAN en Ukraine
Il ressort en outre d’un document que 97 unités des forces spéciales de l’OTAN se trouvent en Ukraine. Cela prouve ce que la Russie affirme depuis le début de la guerre: l’OTAN est très impliquée sur le terrain. La peur d’une confrontation directe ne cesse de croître.
«Alors que le Kremlin tentera d’utiliser les fuites pour semer la division parmi les alliés des Etats-Unis, les pertes russes réelles et les preuves d’incompétence sont peut-être tout autant dommageables pour le dirigeant russe que pour les Etats-Unis», analyse Douglas London, un ancien officier de la CIA, pour Foreign Policy.
Les conséquences de la fuite
La fuite aura des répercussions politiques importantes: elle confirme que les services secrets des Etats-Unis sont bien présents en Russie. La situation risque donc de devenir plus compliquée encore pour les informateurs américains présents dans le pays.
Autre conséquence: la diffusion de ces documents pourrait ébranler la confiance des alliés des Etats-Unis dans la capacité de Washington à préserver des secrets. Kiev, notamment, risque d’être plus suspicieux à l’avenir: la fuite indique que les Etats-Unis s’efforcent de mettre sur écoute de hauts responsables ukrainiens. «Si une telle chose s’était produite au Royaume-Uni, en Israël, en Allemagne ou en Australie, les Etats-Unis auraient complètement cessé d’échanger des informations avec ces nations», avance le politologue Thomas Rid à «The Economist».
Quelle est l’authenticité des documents?
On ne sait toujours pas qui a publié ces documents publiquement et dans quel but. Certains pensent qu’il s’agit d’un initié de la défense américaine qui a décidé de faire éclater la vérité au grand jour. D’autres affirment qu’il s’agit d’un troll, une personne cherchant par tous les moyens à faire le buzz sur internet. L’identité du lanceur d’alerte ne pourra probablement jamais être prouvée.
Des fonctionnaires du Pentagone ont confirmé que les fuites concernaient des vrais documents du ministère de la Défense. Ils ont soutenu que certains avaient été modifiés. Le ministère américain de la Justice a fait savoir qu’il avait ouvert une enquête, mais s’est refusé à tout autre commentaire. Selon certaines sources proches du dossier, les documents en question pourraient ne représenteraient que la partie émergée de l’iceberg: davantage d’informations confidentielles circuleraient en ligne.