Et si «Le jour où la France a fait faillite» devenait une réalité si l’Union populaire écologique et sociale (NUPES) venait à remporter les élections législatives le 19 juin prochain? En 2006, le journaliste Philippe Ries et le haut fonctionnaire Philippe Jaffré publient sous ce titre un pamphlet économique retentissant (Ed. Grasset). Personne, ou presque, ne voit alors arriver le tsunami financier de la crise des «subprimes» aux États-Unis. Les deux auteurs, eux, tirent le signal d’alarme sur les caisses de la République. Elles sont vides. Oui, écrivent-ils, la France peut déposer son bilan, comme toute entreprise surendettée.
Une question de dynamique électorale
Retour à la réalité de 2022. Ce dimanche 19 juin, les électeurs français décideront s’ils confient, ou non, les clés du prochain gouvernement français à la NUPES, l’alliance de gauche emmenée par Jean-Luc Mélenchon. Sur la base des projections en sièges de députés au soir du premier tour, ce scénario semble peu probable. La coalition mélenchoniste pourrait, au mieux, atteindre 200 sièges alors qu’il en faut au minimum 289 pour obtenir la majorité à l’Assemblée nationale française et faire voter des lois.
Reste la dynamique électorale. La gauche, en France, a de nouveau le vent en poupe. Elle est même ressuscitée. Elle rêve, comme en 1936, d’un possible «Front populaire» ou, comme en 1981 avec François Mitterrand, d’une rupture avec l’ordre capitaliste.
Signer des chèques en version XXL
Comment y parvenir? La recette est simple. S’il devient Premier ministre, Jean-Luc Mélenchon a promis de signer des chèques en version XXL. Il ramènera l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans (contre 62 actuellement et alors qu’Emmanuel Macron veut le reporter à 64 voire 65 ans). Il embauchera près de 150'000 enseignants sur cinq ans. Il revalorisera le salaire minimum pour le porter à 1500 euros.
Autant de propositions présentées, le 7 juin, lors d’une conférence de presse de Jean-Luc Mélenchon consacrée aux questions économiques. L’un des intervenants, Cédric Durand, enseigne à l’Université de Genève. Pour ces experts, pas de problème: l’argent public peut pourvoir à ce «gouvernement par les besoins», pour reprendre leur slogan. Les additions: 50 milliards d’euros d’investissements dans la bifurcation écologique et les services publics, 75 milliards par an investis pour créer un million d’emplois dans la fonction publique, 125 milliards annuels pour «faire circuler la richesse». C’est parti: les calculettes peuvent fonctionner…
Une économie libérée… ou ligotée
Pas sûr toutefois que ces recettes, si elles sont appliquées, libèrent les énergies françaises. Elles pourraient au contraire les ligoter et asphyxier le pays, selon un rapport fracassant de l’IFRAP, un institut libéral dirigé par l’économiste Agnès Verdier-Molinié, qui met régulièrement la France en garde contre ses folies dépensières.
Pour l’IFRAP, la cote d’alerte financière est déjà atteinte et le risque de faillite ne peut pas être écarté: «La situation atypique que la France a connue au cours des dernières années (taux bas voire négatifs, endettement apparemment indolore) est bel et bien en train de s’achever, affirme son rapport. 'Quand le soleil brille, il faut réparer le toit', avait dit Christine Lagarde (ndlr: alors Directrice du Fonds monétaire international) en 2017, voyant poindre la reprise et espérant que celle-ci serait propice à des réformes structurelles dans les pays endettés. Hélas… le mauvais temps arrive et les réparations n’ont pas été faites. Pire, le toit est encore plus dégradé.»
Explications: le niveau actuel de la dette publique française à 116% du Produit intérieur brut (contre moins de 40% du PIB pour la Suisse) est juste intenable. Un jugement conforme à celui du Gouverneur de la Banque de France, affirmé voici peu lors d’une conférence du Haut conseil des finances publiques. Selon lui, trop de Français considèrent que la dette «serait devenue sans limites et sans coût» après l’augmentation massive des dépenses pendant la pandémie, le fameux «Quoi qu’il en coûte» qui a entraîné l’injection d’environ 150 milliards de subventions dans l’économie pour assister employés et entreprises.
Cocotte-minute financière
Faut-il, face à une telle cocotte-minute financière, croire aux promesses de la gauche à quelques jours du second tour de scrutin? Terra Nova, un institut d’ordinaire classé à gauche, vient de répondre d’un «Non» catégorique. «En France, la gauche de gouvernement doit survivre mais gagner et appliquer le programme économique de l’Union Populaire la ferait encore plus sûrement disparaître dans un désastre prévisible», note ce think-tank.
Et d’accuser: «Le programme de dépenses publiques et de hausse de la fiscalité des entreprises porté par la NUPES n’a rien à voir avec l’expérience de 1981 (ndlr: celle de l’Union de la gauche version Mitterrand), souvent citée en exemple. Sept fois supérieur en proportion du PIB, il se traduirait immédiatement par une explosion des déficits publics et du chômage et par une dynamique insoutenable de la dette publique. Les marchés financiers anticiperaient le retour de la crise des dettes publiques du début des années 2010. Au bout de quelques mois, le gouvernement de l’Union populaire serait contraint au 'choix de Tsipras'. Se soumettre à un plan d’austérité sans précédent et quémander le soutien de nos partenaires, ou bien entrer dans le chaos de la sortie de l’euro qui provoquerait un infarctus économique.»
Vous avez bien lu: avec Mélenchon au pouvoir, la France se mettrait à ressembler à la Grèce… De quoi faire sacrément peur aux entreprises, aux épargnants et à la Banque centrale européenne (BCE)!
2022 n’est pas 1981!
L’argument massue de Terra Nova est la comparaison historique. En 1981, la France pouvait supporter le choc socialiste destiné à «changer la vie», même s’il fallut deux ans plus tard adopter le tournant de la rigueur. «En 1980, la France avait une dette représentant 21% du PIB, contre 113% à la fin de 2021, poursuit le think-tank. En 1980, la France partait d’un déficit presque nul (0,4% du PIB), contre 6,5% de déficit en 2021. Même en retranchant la perte de recettes et le surcroît de dépenses conjoncturelles liés à la crise sanitaire, le déficit structurel est estimé aujourd’hui autour de 4 à 5% du PIB par les grandes institutions internationales.»
Bref, l’alarme sonne en ce moment dans les bureaux de la BCE à Francfort, et dans ceux de la Commission européenne à Bruxelles où l’on travaille sur de nouvelles règles budgétaires pour les pays de la zone euro. «Le pacte de stabilité (ndlr: l’accord qui tient ensemble les pays de la zone euro), suspendu jusqu’à la fin 2022, le sera probablement une année de plus, même si la décision n’est pas encore actée», pronostiquait récemment le quotidien économique français «Les Échos».
Jean-Luc Mélenchon a beau tout promettre. Il n’est pas sûr qu’en cette période de guerre en Ukraine et d’explosion des prix de l’énergie, l’adage «Impossible n’est pas français» se vérifie encore au porte-monnaie.
A lire pour aller plus loin:
«Un pognon de dingue, mais pour qui ?» de Maxime Combes et Olivier Petit Jean (Don Quichotte / Seuil). Un autre point de vue sur les dépenses publiques Françaises durant la pandémie. Qui en a vraiment bénéficié ? Des réponses qui alimentent le débat.