David Petraeus, ancien chef de la CIA
«Marioupol n'est pas encore tombée»

Le monde a les yeux rivés sur Marioupol, où une lutte acharnée fait rage pour cette ville portuaire placée stratégiquement. Elle a toujours été à la fois un refuge... et une impasse.
Publié: 22.03.2022 à 12:00 heures
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Dernière mise à jour: 22.03.2022 à 13:50 heures
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En ruines: la ville portuaire de Marioupol est particulièrement touchée par les frappes russes.
Photo: keystone-sda.ch
Lea Ernst

Des fosses communes, des nuages de cendres noires, des bâtiments bombardés: les terribles images de guerre de Marioupol font le tour du monde. La ville portuaire du sud-est de l’Ukraine est encerclée, la situation est catastrophique. Des milliers de civils sont enfermés. Les forces armées ukrainiennes refusent pourtant de se rendre.

Mais pourquoi la ville est-elle si farouchement disputée? C’est en raison de sa position stratégique. Avec Odessa, elle possède le seul grand port du pays. «Le port est une assurance vie pour l’Ukraine», a déclaré l’ancien directeur de la CIA et ancien général quatre étoiles David Petraeus à CNN. Si Marioupol tombe, ce sera une perte énorme pour l’Ukraine.

Le lien avec la Crimée

Marioupol offrirait en plus aux Russes une liaison terrestre directe entre la péninsule de Crimée, la Russie continentale et les républiques séparatistes du Donbass. Cela faciliterait leur approvisionnement et permettrait de nouvelles options tactiques pour les troupes russes: «Si la Russie s’empare de Marioupol, elle disposera d’une grande surface de territoire à partir de laquelle elle pourra avancer vers le nord», explique David Petraeus.

Marioupol est désormais le premier endroit où la Russie doit s’engager dans une bataille au cœur d’une zone construite pour pouvoir s’emparer complètement de la ville. «Pour cela, les Russes doivent presque aller d’appartement en appartement et se battre dans chaque pièce», commente l’ancien directeur de la CIA.

Dès lors, les commandants russes auraient recours à une tactique abominable: ils essaieraient d’affamer la ville. «La ville n’a plus de nourriture, d’eau et de carburant» ajoute David Petraeus. Selon lui, on ne sait pas combien de temps les Ukrainiens pourront tenir Marioupol. Toutefois, David Petraeus l’assure: «Marioupol n’est pas encore tombée, la ville continue à se battre de toutes ses forces.»

Station balnéaire et productrice d’acier

La majeure partie du monde n’a connu la ville portuaire de Marioupol qu’à travers l’horreur de la guerre et l’ampleur de sa destruction. Là où les bombes tombent aujourd’hui et où les chars roulent, des arbres luxuriants bordaient encore, il y a quelques semaines, des boulevards vivants, des fêtes de rue et des concerts. Des enfants jouaient sur la plage de sable de la mer d'Azov.

Marioupol est en effet une importante ville portuaire et universitaire, ainsi qu’un centre économique pour l’Ukraine. C’est à la fois une belle ville côtière et une ville ouvrière. Jusqu’à samedi, deux des plus grandes aciéries d’Europe se trouvaient à Marioupol. Samedi, l’une d’entre elles, l’aciérie Azovstal, a été touchée par des tirs russes.

La guerre est pourtant proche depuis près d’une décennie. En 2014, Marioupol avait déjà été prise par des séparatistes armés. Les troupes ukrainiennes les avaient certes repoussés, mais à partir de ce siège, le front ne se situait plus qu’à 20 kilomètres au nord-est de la ville.

Marioupol était depuis lors – jusqu’à l’attaque de l’armée russe – un lieu de refuge pour les réfugiés de Crimée et du Donbass. Un cinquième des presque 500’000 habitants de Marioupol étaient des réfugiés ukrainiens.

Point de ralliement de la diaspora

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la ville a été occupée par les troupes de la Wehrmacht et a été détruite à grande échelle. Une grande partie de la population juive – qui représentait encore environ 11% de la ville en 1926 – a été victime de l’Holocauste. De nombreux autres Marioupoliens ont été déportés en Allemagne pour le travail forcé. À partir de 1942, la ville fut l’un des principaux terrains d’opération des partisans soviétiques.

Ce n’est que l’année dernière que la communauté juive de Marioupol a construit une nouvelle synagogue. Dans les rues, qui portent sporadiquement des noms italiens ou grecs, les restaurants et les snacks turcs côtoient les restaurants venus de la mer Égée. D’importantes minorités arméniennes et azerbaïdjanaises vivent également en diaspora à Marioupol, où elles ont cherché de meilleures chances d’avoir accès à la démocratie et de liberté. Aujourd’hui, Marioupol n’est plus qu’un tas de ruines.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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