Bachar al-Assad ne divisera plus la classe politique européenne. L’ex-président Syrien, réélu en 2021 avec plus de 90% des suffrages à l’issue d’un scrutin manipulé par son pouvoir, est aujourd’hui reclus à Moscou, où l’asile politique lui a été accordé.
Pourquoi mentionner les divisions des dirigeants européens? Parce que depuis le printemps arabe, et surtout depuis la vague d’attentats commis en France en 2015, de nombreux hommes et femmes politiques, à droite comme à gauche, ont soutenu ce régime sanguinaire au nom de la lutte contre les islamistes. Ceux-là se retrouvent aujourd’hui le dos au mur, confrontés aux images de leurs rencontres avec le dictateur ou avec ses proches à Damas. Un changement qui en précède d’autres. Car pour ces cinq raisons au moins, ce qui se passe en Syrie est bien plus déterminant pour notre avenir immédiat que le sort de la guerre en Ukraine.
La Syrie, terre du djihad
Le principal danger qui pèse sur le continent européen est-il celui posé par la Russie de Vladimir Poutine? Beaucoup le pensent, surtout au vu des interférences russes dans les processus électoraux, évidentes en Moldavie, en Géorgie et, ces dernières semaines, en Roumanie, pays membre de l’Union européenne. Reste que concrètement, la pression migratoire est le risque islamiste inquiètent davantage les citoyens. Tous les scrutins récents se sont déroulés sur fond de rejet de l’immigration massive des musulmans sur le sol européen, et sur fond de rejet de l’Islam, perçu comme une menace contre nos civilisations aux racines chrétiennes. Va-t-on revoir, à partir de la Syrie conquise par les rebelles du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS), une nébuleuse résolue à exporter le djihad mondial (la guerre sainte) en Europe? Ou, au contraire, cette conquête express du pouvoir va-t-elle enfin permettre une recomposition régionale, sous la domination de la Turquie et des pays du Golfe (dont le Qatar) plutôt que sous la tutelle de l’Iran?
La Syrie, enjeu pour la Russie
La Russie de Vladimir Poutine n’entrera pas en négociations sur la paix en Ukraine si elle n’y est pas forcée sur le terrain militaire, et si elle n’est pas en difficulté sur le plan géopolitique et économique. Or ce qui se passe en Syrie peut accélérer ce processus. Le Kremlin n’a pas eu les moyens de soutenir militairement, comme il l’avait fait dans le passé, le régime de Bachar al-Assad. Plus grave pour le complexe militaro-industriel auquel le régime de Poutine est adossé: la base navale de Syrienne de Tartous, seul accès à la Méditerranée pour la flotte russe, peut à tout moment être assiégée. L’intérêt objectif de la Russie, dans ce contexte, est de temporiser pour éviter une défaite cinglante. Or la meilleure manière de gagner du temps est d’activer les leviers diplomatiques. L’Iran, fournisseur à l’armée russe de drones Shahed pour attaquer l’Ukraine, est aussi en piteux état. Ce n’est pas la situation sur le front, en Ukraine, qui peut aujourd’hui faire bouger les choses. C’est au Proche-Orient que se trouvent certaines clés du conflit qui dévaste l'est de l'Europe.
La Syrie, à la merci d’Israël
La crise au Proche-Orient déclenchée par l’assaut terroriste des commandos du Hamas Palestinien, le 7 octobre 2023, est un abcès qu’il faut impérativement traiter. Les pays arabes qui étaient sur le point de signer des accords de paix avec l’Etat hébreu brandissent aujourd’hui – mais pour combien de temps – le drapeau de la Palestine. La Turquie, elle aussi prête à discuter autrefois avec Israël, accuse Benyamin Netanyahu d’être responsable d’un «génocide» à Gaza et au Liban. Ce qui se passe en Syrie peut constituer la clef d’une nouvelle donne. L’Iran et son affidé libanais, la milice chiite Hezbollah, sont pour le moment hors-jeu. Or n’oublions pas que cette région est indispensable au commerce mondial. Et que le cours des hydrocarbures dépend largement des conditions sécuritaires au Moyen-Orient. Une baisse du prix du pétrole serait une excellente nouvelle pour les Européens, en difficulté économique, et un écueil de plus pour Vladimir Poutine, obligé de brader son gaz et son brut.
La Syrie, chaudron migratoire
Il suffit de voir les cohortes de véhicules lancés sur les routes d’Alep et de Damas, notamment en provenance de Turquie où vivent entre deux et trois millions de Syriens réfugiés durant la guerre civile. Près de huit millions de Syriens, sur une population présumée de 23 millions, ont pris la fuite pour échapper au régime Assad. C’est pour répondre à leur afflux que la chancelière allemande Angela Merkel avait lancé son fameux «Wir schaffen das» (Nous y arriverons) le 31 août 2015. Voir la Syrie rouvrir ses portes à ses citoyens revenus d’exil va, pour la première fois de cette décennie, créer un appel d’air migratoire inverse à ce que l’on a connu jusqu’à présent. On peut évidemment répliquer que la même chose se passerait en Ukraine, si la paix revenait. Sauf que l’intégration des populations ukrainiennes déplacées pose moins de problèmes que celle des migrants de confession musulmane.
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La Syrie, mine d’informations
L’on soupçonne déjà le régime déchu de Bachar al-Assad d’avoir trahi ses parrains iraniens et ses alliés du Hezbollah, en faisant passer à Israël les informations permettant de localiser de hauts dirigeants que l’Etat hébreu a, depuis, éliminés. La frappe israélienne du 19 février 2023 sur le consulat iranien de Damas est souvent citée comme preuve de cette collaboration de la dernière chance de la part d’une dictature féroce dont les services de renseignements étaient parmi les plus déterminés et les plus sophistiqués de la région. Que va-t-on trouver dans les immeubles de ses services ou dans les résidences des dirigeants, déjà saccagées? A qui ces informations vont être remises? Les services de renseignement américains et israéliens sont-ils à l’œuvre depuis le début de l’offensive victorieuse du HTS? Ce que l’on va apprendre à Damas peut influer sur le comportement de nombreux acteurs influents.