Le régime Assad est tombé
La Syrie en plein chaos va-t-elle redevenir le cauchemar de l'Europe?

La chute du dictateur syrien Bachar al-Assad préfigure-t-elle la reconstitution en Syrie d'un foyer terroriste djihadiste? Le chaos syrien va-t-il relancer une vague d'émigration? Ou, au contraire, enfin permettre de rebattre les cartes au Proche-Orient?
Publié: 08.12.2024 à 12:48 heures
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Dernière mise à jour: 08.12.2024 à 19:53 heures
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Depuis 1971, le clan Assad tenait la Syrie d'une main de fer. C'est désormais fini, du moins dans la capitale Damas, prise par les rebelles cette nuit.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il suffit de prononcer le nom de ce pays pour que les images de l’exode de millions de déplacés et des attentats de 2015 en France refassent surface. La Syrie est, depuis le soulèvement du «printemps arabe» de 2011, associée au chaos et aux sanctuaires djihadistes, résolus à exporter le terrorisme islamiste en Europe. Alors que le régime dictatorial de Bachar al-Assad, tenu jusque-là à bout de bras par la Russie et l’Iran, vient de tomber dans la nuit, doit-on s’attendre à un nouveau cauchemar géopolitique, migratoire et sécuritaire en provenance de Damas, la capitale syrienne?

Risque N° 1: Chaos prolongé et guerre civile

Les images de liesse dans les villes syriennes libérées, les photos des rebelles déboulonnant les statues de l’ancien dictateur Hafez al-Assad ou les vidéos montrant des habitants de Damas en train de piétiner les photos de son fils désormais en exil à Moscou, Bachar al-Assad: tout cela ne doit pas cacher la réalité du chaos syrien actuel. 

C’est un régime féroce, responsable de plus d'un demi-million de morts depuis 2011 qui est tombé dans la nuit, à l’issue d’une offensive éclair des rebelles d’une dizaine de jours, à partir de leur sanctuaire de la province d’Idlib, au nord, près de la Turquie. C’est un pan d’histoire sanglante qui se tourne pour ce pays contrôlé d’une main de fer depuis 1971 par le clan Assad. 

L’ouverture par les rebelles de la prison de Sednaya, à Damas, où certains détenus croupissaient depuis quarante ans sans connaître le motif exact de leur arrestation, en dit long sur la violence dans laquelle la Syrie a été plongée ces dernières décennies. Un chaos prolongé, attisé par les puissances voisines pourrait donc s’installer. Le fait que la zone côtière de Lattaquié, fief du régime, soit aussi tombée montre toutefois que la victoire est totale.

Reste l'yphothèse qui fait frémir: la Syrie peut devenir un nouveau Yémen, plongé dans une guerre civile depuis dix ans.

Risque N° 2: Damas, capitale djihadiste

Qui contrôle Damas aujourd’hui? A priori les rebelles islamistes du mouvement Hayat Tahrir al-Sham (HTS), issu de la mouvance Al Qaïda et considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis et les Nations unies. Ce sont des hommes de HTS qui ont arrêté cette nuit le premier ministre syrien Mohammed al-Jalali dans la capitale, puis l’ont escorté vers une destination encore inconnue. 

Le chef de cette organisation est Abu Mohammed al-Golani, de son vrai nom Ahmed al-Sharaa, connu des journalistes occidentaux spécialistes de la région et interviewé ces jours-ci par la chaîne américaine CNN. Il a d'ailleurs prononcé un discours, ce dimanche, à la grande mosquée des Omeyyades de Damas où un couvre-feu a été instauré.

«Au fil des ans, il a cessé d’arborer le turban porté par les djihadistes, préférant souvent le treillis militaire note le «New York Times». Cette semaine, al-Golani portait une chemise et un pantalon kaki pour visiter la citadelle d’Alep, se tenant à la portière de son véhicule blanc tout en saluant et en se déplaçant dans la foule». 

Golani a rompu officiellement avec Al-Qaïda en 2016. Né en 1982, Golani a été élevé à Mazzeh, un quartier huppé de Damas. Il est issu d’une famille syrienne aisée. En 2021, il a déclaré à la chaîne américaine PBS que son nom de guerre faisait référence à ses racines familiales sur le plateau du Golan, affirmant que son grand-père avait été contraint de fuir après la prise de contrôle de la région par Israël en 1967, lors de la guerre des Six Jours. 

Fait paradoxal: la brigade Golani (qui tire aussi son nom du désert du Golan) est l’une des unités les plus prestigieuses de Tsahal, l’armée israélienne mobilisée le long de la frontière avec la Syrie.

Risque N° 3: La Syrie, déchirée par ses voisins

Tous les regards se tournent aujourd’hui vers quatre pays. Le premier est la Turquie dirigée par le président Recep Erdogan, qui a soutenu l’offensive avec des drones et du matériel lourd dans l’espoir d’agrandir la zone tampon de territoires syriens contrôlés par des forces pro turques le long de sa frontière. Coïncidence révélatrice: les troupes turcs et leurs alliés ont pilonné ce week-end les territoires contrôlés par des milices kurdes hostiles à la Turquie. 

Le second est la Russie, qui a été le soutien indispensable de Bachar al-Assad dans sa guerre contre les rebelles à partir de 2013. Moscou a confirmé avoir accordé l'asile à Bachar al-Assad. On a vu ces jours-ci les militaires russes rapatrier des moyens lourds vers le port de Tartous, qu’ils contrôlent et qui est le seul port Méditerranéen où la marine Russe peut accoster. Pour l'heure, les bases russes ne sont toutefois pas menacées. 

Le troisième est l’Iran, mais là, la réponse est connue: Téhéran n’est plus en mesure de défendre l’ex-régime syrien qui était son protégé et que des milliers de Gardiens de la Révolution iraniens étaient venus défendre. 

Dernier pays crucial enfin: Israël. Tout ce qui se passe aujourd’hui en Syrie est le résultat direct de la guerre menée par Israël à Gaza, des frappes contre l’Iran et des opérations de destruction menées au Liban sud et à Beyrouth contre le Hezbollah. 

Que va-t-il se passer maintenant? L’État hébreu a évidemment besoin de garanties de sécurité, et ses forces ont bombardé dimanche les positions syriennes proches de la frontière. Une Syrie déchirée affecterait aussitôt le Liban déjà en lambeaux. 

Risque N° 4: Le massage et l’exode des Alaouites

Le clan de Bachar al-Assad, mais aussi les services de renseignement et les unités d’élite de l’armée syrienne (laquelle s’est complètement écroulée en dix jours), étaient aux mains de la minorité alaouite, une secte de l’islam chiite. Ce sont en partie les liens chiites qui expliquaient – alors que le régime de Hafez al-Assad arborait, lui, sa laïcité en étendard – le rapprochement entre Bachar al-Assad, arrivé pour pouvoir en 2000, et Téhéran. C’est aussi en raison de ce ciment religieux que l’ex-régime de Damas et le Hezbollah libanais coopéraient étroitement sur le plan militaire et dans de nombreux trafics. 

Sur le plan démographique, les Alaouites représentent environ 12% de la population de l’actuelle Syrie, soit au maximum deux millions de personnes. Leur concentration géographique sur la zone côtière, et leur responsabilité écrasante dans la dictature, fait en revanche d’eux des cibles. Un exil massif de ces Alaouites est donc possible. L’épuration ethnique peut virer au massacre.

Risque N° 5: Terrible chassé-croisé migratoire

Il y a entre deux et trois millions de réfugiés syriens en Turquie. C’est cette population dont Recep Erdogan veut se débarrasser au plus vite. On peut aussi penser que de très nombreux Syriens installés en Europe dans des conditions précaires voudront rentrer dans leur pays, si celui-ci se stabilise. La question de la minorité chrétienne de Syrie redevient essentielle alors que les groupes djihadistes islamistes prennent le pouvoir, même si dans leur sanctuaire d’Idlib, la coexistence semblait fonctionner. 

Bref, la Syrie peut devenir à nouveau le théâtre d’un terrible chassé-croisé migratoire dont on connaît la destination naturelle: l’Europe, et surtout les pays où une diaspora syrienne s’est implantée. Ce risque est majeur. Il est probable qu’il guidera les gouvernements européens dans leur appréciation de la politique à tenir vis-à-vis du futur gouvernement syrien. 

Et que faire aussi des forces occidentales encore déployées dans la région, notamment les unités aériennes chargées de traquer les djihadistes? Toute forme d’intervention sur le terrain de forces européennes semble en revanche être exclue. 

Donald Trump a de son côté déjà dit que les Etats-Unis ne bougeraient pas. L’attentisme va régner. Il peut bien sûr, comme toujours, engendrer le pire.

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