L'agenda de Christoph Heusgen est chargé: évaluations pour des chaînes de télévision à Berlin, réunions à Munich, conférences à Washington. Le 24 février, quatre jours après l'entrée en fonction du diplomate allemand de 67 ans à la tête de la Conférence de Munich sur la sécurité, Vladimir Poutine a envahi l'Ukraine. «J'avais certes dit que nous n'étions pas encore tirés d'affaire pendant l'escalade des tensions, mais j'avais déjà l'espoir que Poutine se rende compte à quel point la communauté internationale était unie», explique Christoph Heusgen. Blick a pu le rencontrer pour une interview dans son bureau berlinois.
L'Occident a très longtemps cru qu'il ne pouvait pas «provoquer» Vladimir Poutine. Avons-nous dépassé ce stade désormais?
Christoph Heusgen: On ne peut pas se fier à Poutine et à sa parole. Il a violé tous les traités internationaux conclus par la Russie: de la Charte des Nations Unies à l'Acte fondateur de la CSCE, en passant par la Charte de Paris, qui garantit le libre choix des alliances, au Mémorandum de Budapest, dans lequel la Russie a garanti l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Ukraine - en échange de l'abandon des armes nucléaires par cette dernière. Tous les traités qui sont signés par Poutine ne valent en réalité rien du tout.
Depuis le début de l'invasion, l'Europe a investi pour ses forces défensives. L'année dernière déjà, les dépenses militaires mondiales ont dépassé pour la première fois les 2 billions de dollars américains. Vivons-nous dans une nouvelle ère de réarmement?
Il s'agit plutôt d'un retour à la guerre froide, durant laquelle l'OTAN se concentrait sur la défense de son propre territoire. Depuis, elle s'est davantage orientée vers des opérations de paix à l'extérieur. Aujourd'hui, la défense territoriale revient sur le devant de la scène. Et cela s'accompagne également de la mise en place des moyens militaires nécessaires pour maintenir une telle défense de manière crédible.
Y compris la dissuasion nucléaire.
Oui, cela en fait aussi partie. La stabilité que nous avons connue après la Seconde Guerre mondiale résultait d'une défense axée sur la dissuasion. La non-participation nucléaire de l'Allemagne était un élément important de cette dissuasion. Et cela a fonctionné pendant 75 ans.
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Plus maintenant?
Elle continue d'avoir un effet sur le territoire de l'OTAN. Mais il est important que le gouvernement fédéral allemand se soit clairement engagé à participer au nucléaire. Et qu'il aille maintenant de l'avant avec l'acquisition des avions, afin de maintenir une participation nucléaire crédible.
Avant le début de la guerre, l'Europe s'est méprise sur la volonté de Poutine en pensant qu'il n'attaquerait pas l'Ukraine. Il n'est pas exclu que nous nous méprenions également sur sa volonté d'utiliser des armes nucléaires tactiques ou de lancer des attaques sur le territoire de l'OTAN. Quel est le niveau de risque actuel, selon vous ?
Les spéculations du côté russe sur l'utilisation éventuelle d'armes nucléaires sont irresponsables. La Russie joue avec le feu. Je compte sur le fait que le système de dissuasion mutuelle continuera à fonctionner. Les États-Unis ont démontré de manière très crédible qu'ils sont attachés à l'OTAN et à l'engagement de l'alliance. Nous pouvons nous y fier, et Poutine devrait également le savoir.
Pouvons-nous encore compter sur une OTAN dominée par les États-Unis, sachant par exemple que Donald Trump pourrait très bien être à nouveau élu en 2024?
Nous le devons. Actuellement, nous constatons à quel point l'Alliance fonctionne bien. J'ai rarement vu une aussi bonne coordination, une aussi bonne relation transatlantique que celle que nous avons actuellement. Nous devons tout faire pour continuer à entretenir cette relation, y compris de ce côté-ci de l'océan. Il est important que nous mettions en œuvre nos engagements afin de fournir notre contribution européenne à une alliance transatlantique qui fonctionne.
L'Europe a-t-elle besoin de ses propres armes nucléaires?
Ce n'est pas à l'ordre du jour. Mais dans le cadre de la réflexion sur l'évolution de la politique européenne de sécurité et de défense, nous ne devrions pas exclure une défense nucléaire européenne, c'est-à-dire une sorte de participation - comme nous l'avons au sein de l'OTAN - aux armes nucléaires françaises. Même si c'est un sujet sensible pour la France en raison de son histoire. La force de frappe est une arme nationale, la souveraineté décisionnelle est donc nationale.
Les forces nucléaires françaises seraient-elles suffisamment puissantes en cas d'attaque? Les Français réagiraient-ils également si Poutine utilisait une bombe atomique?
Les forces nucléaires françaises sont plus limitées que les forces américaines. Il faudrait alors voir comment on organiserait une participation nucléaire, si la France s'engageait un jour dans une telle démarche.
Les Français sont-ils plus ouverts sur le sujet depuis le début de la guerre?
Si l'on observe l'ensemble de la politique française, si l'on écoute certains hommes politiques et les discours très pro-européens de Macron, je constate une certaine disposition de principe à parler au moins une fois de tels sujets.
En quoi l'Europe doit-elle encore s'améliorer en matière de défense?
L'Europe doit faire beaucoup plus en ce qui concerne une politique européenne de sécurité et de défense. En fait, nous avions déjà prévu il y a 20 ans de mettre en place des groupes de combat qui pourraient être déployés rapidement. Mais nous avons dû nous rendre à l'évidence - par exemple lorsque nous avons voulu évacuer nos citoyens de Kaboul - que les capacités européennes ne suffisaient même pas à sécuriser un aéroport.
Il faut donc une armée européenne.
Cela semble toujours très prétentieux. Nous avons besoin de forces européennes. Et en Allemagne, nous devons également nous assurer que nos partenaires peuvent compter sur nous pour créer rapidement les conditions nécessaires en cas d'intervention.
Le Bundestag doit toujours approuver l'engagement de troupes allemandes.
En cas d'urgence, cette approbation peut également être obtenue ultérieurement, de sorte que nous serions prêts, du côté allemand, à participer à une telle force d'intervention. C'est ce que nous devrions faire, et nous devrions aller de l'avant. Cela signifie qu'il faut prendre les choses au sérieux et commencer à s'entraîner, de sorte que nous puissions effectivement envoyer une telle force en mission dans les plus brefs délais.
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Où voyez-vous la Suisse dans cette nouvelle architecture de sécurité européenne?
La question qui se pose à tous les membres des Nations Unies est la suivante: qui est du côté de l'Ukraine, du côté de l'UE, pour le respect du droit international, de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et des accords internationaux basés sur ce droit? Il est important que la Suisse soit du côté de ceux qui défendent l'application du droit international, et qu'elle s'engage ensuite dans ce sens.
Que pensez-vous alors du fait que la Suisse bloque la livraison de munitions fabriquées sur son territoire?
Il est toujours dangereux, quand on n'est pas Suisse, de s'immiscer dans le débat sur la neutralité de la Suisse.
L'année prochaine, la Suisse deviendra membre du Conseil de sécurité de l'ONU. Ne devra-t-elle pas alors prendre concrètement position?
Ce sera intéressant quand il s'agira de savoir s'il faut condamner ou non un comportement russe tel que nous le voyons actuellement en Ukraine. La Suisse devrait toujours se baser sur le droit international et s'engager en faveur du droit international. L'Ukraine respecte son droit légitime à l'autodéfense selon la Charte des Nations Unies. Je pense qu'il serait juste que la Suisse soutienne l'Ukraine dans l'exercice de son droit à l'autodéfense pour préserver sa souveraineté nationale, et qu'elle lui fournisse également des munitions et des armes à cet effet.
(Adaptation par Thibault Gilgen)