Cela va-t-il durer?
Pourquoi l'économie russe se porte plutôt bien malgré les sanctions

La Russie souffre des sanctions des gouvernements engendrés par la guerre en Ukraine. Malgré tout, l'économie du pays est en croissance grâce à l'industrie de l'armement. Une façade qui ne saurait durer avance des experts.
Publié: 23.08.2023 à 16:43 heures
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Vladimir Poutine veut rassurer la population quant à la santé de l'économie.
Photo: DUKAS
Ulrich Rotzinger

Tout n'est pas au beau fixe en Russie. Les habitants ressentent de plus en plus les conséquences de la guerre contre l'Ukraine qui dure depuis un an et demi déjà. Un rouble faible, un pouvoir d'achat en baisse, moins d'exportations de pétrole et de gaz et des dépenses toujours plus élevées pour les importations, ne sont que la pointe de l'iceberg. De plus, face aux problèmes économiques et à la menace d'être enrôlés pour le service militaire, les étrangers quittent le pays. Conséquence: un manque de personnel qualifié.

De son côté, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine voit le verre à moitié plein. Il parle d'une économie toujours solide et déclarait encore mardi dernier: «La situation budgétaire actuelle est stable dans l'ensemble et ne présente pas de risques pour la stabilité macroéconomique.» Les dépenses étant plus élevées que les recettes, il s'attend tout de même à un déficit de 2% d'ici la fin de l'année.

L'économie de guerre comme moteur de la croissance

Surprise du côté des économistes occidentaux à Moscou. Ils estiment que le pays résiste mieux que prévu à la pression des sanctions imposées par de nombreux gouvernements. Ils vont même jusqu'à avancer que l'économie russe est en croissance. Les économistes nuancent toutefois leurs propos: ils soulignent que la Russie doit cette croissance avant tout à son économie de guerre et à l'augmentation massive de la production d'armes et de munitions. Une progression qui ne pourra pas durer, selon eux.

D'autres secteurs économiques se plaignent en revanche du manque d'investissements et de commandes. Le relèvement du taux directeur de 3,5 points à 12% au milieu du mois a porté un coup à l'économie et n'a finalement pas stabilisé la monnaie, écrit le quotidien russe «Nezavissimaïa Gazeta». Le niveau désormais élevé des taux d'intérêt conduit au contraire à des crédits extrêmement chers, freinant la volonté d'investissement.

Une inflation galopante

Le transport compliqué, les taxes à l'importation et les taux de change défavorables par rapport à l'euro et au dollar renchérissent de nombreux produits et affaiblissent encore le pouvoir d'achat déjà ébranlé. En juillet, la banque centrale a annoncé une inflation de 4,3%.

Alors que de nombreux Russes passent leurs vacances en Turquie ou parfois en Espagne, l'achat de devises est actuellement presque deux fois plus cher qu'il y a un an. A titre de comparaison, en août 2022, un euro coûtait environ 59,5 roubles selon le cours de la banque centrale. Un an plus tard, les gens doivent débourser environ 103 roubles.

Le pouvoir d'achat diminue massivement

Pendant ce temps, les médias russes s'intéressent surtout au fait que de nombreuses personnes obtiennent de moins en moins de produits alimentaires pour leur argent. Le revenu moyen par habitant a certes presque doublé au cours des dix dernières années, selon l'agence publique de statistique russe Rosstat. Il atteint maintenant 48'000 roubles (environ 450 francs suisses) par mois. Compte tenu de l'inflation, la valeur de cette somme est aujourd'hui inférieure de 6,5% au pouvoir d'achat de 2013, comme l'a calculé la «Nezavissimaïa Gazeta».

Les experts ne partagent pas l'optimisme du Kremlin. Pour un «rouble fort et respecté», qui représente la souveraineté de la Russie, il faut s'engager davantage, selon le journal qui cite l'institut économique Stolypin. Ainsi, de nouvelles obligations pour les entreprises de vendre jusqu'à 90% de leurs recettes en devises provenant de l'exportation pourraient stabiliser la monnaie.

L'année dernière, la banque centrale russe a temporairement interdit l'achat de devises et a ordonné aux exportateurs d'échanger leurs revenus en devises étrangères contre des roubles. Ce qui a entraîné une offre excédentaire de dollars et d'euros et une appréciation du rouble. Rien que d'évoquer le retour à ce mécanisme a déjà permis de freiner la chute des cours. Pourtant, selon l'institut Stolypin de Moscou, cette stratégie ne serait non plus pas efficace à long terme. La situation pourrait devenir incontrôlable.

Les entreprises réduisent leur production

Des enquêtes menées par la banque centrale russe en août montrent que la plupart des entreprises russes réduisent leur production pour le deuxième mois consécutif. Elles se plaignent également d'un manque de personnel qualifié et de problèmes de logistique pour les livraisons. En cause notamment, le service militaire qui mobilise des centaines de milliers d'hommes.

Pour ne rien arranger, comme l'accès à l'UE est en grande partie fermé à cause des sanctions, le pays importe des marchandises à grands frais. Ils contournent en partie les sanctions via la Turquie, la Géorgie, le Kazakhstan et d'autres pays.

Le bas niveau du rouble est-il durable?

Les médias proches du Kremlin tentent de persuader les Russes qu'un rouble faible n'est pas si mauvais. «C'est ainsi que se présente désormais notre marché des changes», peut-on lire à la une de l'hebdomadaire «Expert». Le journal critique le fait que la monnaie soit devenue un objet de spéculation à la bourse, tout en relativisant: «Mais d'un point de vue macroéconomique, il n'y a aucune raison de paniquer.»

Il est pourtant clair que la Russie encaisse désormais nettement moins de devises. En cause: les boycotts occidentaux sur le pétrole et le gaz. Le manque de dollars et d'euro commence à se faire sentir, sachant que le pays doit régler 90% de sa dette extérieure en monnaie occidentale.

Contrôle des sorties de capitaux en discussion

Selon la banque centrale de Moscou, la Russie doit régler en un an environ 130 milliards de dollars américains (environ 111 milliards de francs suisses) de dettes. Le paiement des dividendes des entreprises russes à l'étranger se fait donc encore en devises.

Des contrôles plus stricts des sorties de capitaux sont à nouveau discutés. Selon les estimations des experts, environ 243 milliards de dollars américains de capitaux ont été retirés de Russie en 2022, soit 13,5% du produit intérieur brut.

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