Au premier abord, tout semble opposer ces deux réalités. Alors que les soldats se font face sur le front, l'élite politique et économique mondiale se serre la pince. Pendant que le WEF s'installe dans un charmant village suisse, la terreur s'installe dans les plaines détruites du pays envahi.
Sur le WEF 2024
Et pourtant: tout tournera autour de l'Ukraine à Davos. Le président Volodymyr Zelensky sera là en personne. Ce week-end déjà, en marge du 54e Forum économique mondial (WEF), une délégation envoyée par le chef d'Etat ukrainien était présente pour défendre son plan de paix en dix points.
Objectif: trouver des alliés
Ce plan définit les conditions que la Russie devra remplir avant que l'Ukraine ne se déclare prête à négocier. Parmi celles-ci, le retrait des troupes de Vladimir Poutine de l'ensemble du territoire ukrainien (point 6) et la libération de tous les prisonniers de guerre (y compris les plus de 20'000 enfants ukrainiens qui auraient été enlevés en Russie) (point 4).
A Davos, l'objectif de la délégation ukrainienne est le même que lors des conférences de Copenhague, Djeddah ou encore Malte: rallier d'autres gouvernements à ce plan. La Suisse a déjà accepté de rejoindre le bateau. Un engagement qu'on pourrait saluer mais qui, en réalité, se révèle être une balle dans le pied qui la prive de son plus grand joker.
Au total, 83 pays soutiennent le plan de paix du président ukrainien. «Il n'y a pas d'alternative à ce plan», a déclaré le conseiller fédéral Ignazio Cassis ce dimanche à Davos. «Nous ne pouvons pas simplement nous asseoir et rêver que le monde devienne meilleur.»
La Suisse sera dans l'obligation de faire arrêter Poutine
Malgré son soutien sur le plan de paix, la Suisse ne fournit pas de matériel militaire dont l'Ukraine aurait urgemment besoin pour se sortir de cette situation de point mort après presque deux ans de guerre.
En revanche, la Suisse peut se vanter d'un important travail de médiation entre les parties en guerre, effectué dans l'ombre, expliquait Ignazio Cassis dimanche à Davos. «Cela se passe souvent à un niveau invisible aux yeux du public. Mais je peux vous assurer que nos bons services n'ont jamais été aussi demandés.»
Se présenter comme médiateur face à la menace militaire en provenance de l'Est et renoncer à livrer des armes à l'Ukraine qui mendie des munitions, pourquoi pas. Mais la Suisse aurait eu bien meilleur de temps de se proposer comme lieu de négociations entre la Russie et l'Ukraine. Et c'est précisément cette éventualité qu'elle vient d'enterrer en soutenant explicitement le plan de paix de Zelensky.
Le plan stipule en effet clairement que des négociations ne seront rendues possibles qu'après la mise en place des dix points du plan de paix. Parmi ces points figure également la mise en place d'un tribunal international spécial devant lequel les responsables de la guerre d'agression russe doivent être traduits en justice. Vladimir Poutine en fait partie: il est même le principal responsable de cette invasion. S'il venait à se rendre en Suisse pour négocier, la justice locale devrait, logiquement, immédiatement le faire arrêter, rendant ainsi toute négociation impossible.
Dans 700 ans, l'Ukraine sera encore minée
La Suisse est ici confrontée à un dilemme diplomatique. On veut faire la part des choses et on se dit même prêt à livrer des nouveaux fonds pour le déminage en Ukraine. Que d'actions bien intentionnées qui, en bonus, lissent l'image humanitaire de notre petit Etat.
Mais ces mesures ne sont qu'une goutte d'eau dans la mer sur le plan militaire. Selon des experts ukrainiens réunis en marge de la conférence de paix, il faudra environ 700 ans pour que l'Ukraine soit totalement déminée.
Dans 700 ans, Davos aura certainement bien changé. Et le nombre d'Ukrainiens morts au combat aura pris l'ascenseur. On ne gagne pas une guerre avec des appareils de déminage ou un langage commun de paix. Un changement radical de mentalité et des concessions militaires en acier sont nécessaires. Mais ces deux éléments, la Suisse ne pourra pas les fournir. Cette visite tant espérée du président ukrainien à Davos ne devrait pas, tout compte fait, changer grand-chose.