«Pourquoi cette personne ne va pas bien?», «Elle est malade?»: voilà le genre de question qu’un enfant risque de poser, en apercevant un usager de substances ou du matériel d'injection dans l’espace public. Ce genre de scène marque, inquiète et interpelle les jeunes esprits, qui ne disposent pas encore des informations et de la maturité nécessaires pour comprendre l’ampleur de la détresse d’un individu dans cette situation.
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Alors que le second local d’injection lausannois vient d’ouvrir ses portes à la Riponne ce printemps, la question de la consommation dans l’espace public s’invite dans l’actualité, alors que la ville vaudoise a reçu le titre de «capitale du crack»: mes collègues ont passé un total de sept heures dans cette structure sécurisée pour rencontrer ses usagers et son personnel. Et ainsi que le leur ont répété les intervenants sociosanitaires croisés sur place, les usagers sont «juste» des gens malades, bien que la société ait encore du mal à accepter cette idée.
Mais comment expliquer cela à des enfants, qui ouvrent leurs grands yeux innocents sur un monde parfois intolérablement cruel? Il n’est pas possible de balayer ce type de phénomène d’un revers de la main en affirmant que «ce n'est rien», surtout quand même notre esprit d’adulte est envahi d’émotions, de tristesse et d’inquiétude.
Une première réaction de surprise
«Souvent, lorsque les enfants repèrent quelque chose de différent ou d’inconnu dans l'espace public, leur première réaction sera la surprise, note Amélie Brand, psychologue spécialisée en psychothérapie FSP. Les plus jeunes enfants ne seront pas forcément dans le jugement en voyant quelqu’un tituber dans la rue, mais cela les interpellera et leur inspirera des questions de type ‘Qu’est-ce qui arrive à cette personne?’ Ensuite, leur regard s’affine en fonction des discours ou des réactions qu’ils ont perçus chez les adultes.»
En effet, l’un de leurs premiers réflexes sera de lever les yeux vers leurs parents pour jauger leur réaction et s’y adapter. «Un parent à l’aise avec la situation pourra aider son enfant à prendre du recul et à faire preuve d’empathie, en lui expliquant que cette personne est en difficulté, qu’il s’agit d’une situation triste», poursuit notre experte.
Voici cinq réflexes importants pour gérer ce type de situation et clarifier cela de manière simple:
Ne pas les pousser au jugement négatif
Amélie Brand conseille en premier lieu d’inviter l’enfant à ne pas se moquer: «Les plus jeunes ont naturellement tendance à émettre des propos très durs, par exemple lorsqu’ils croisent une personne en surpoids ou en situation de handicap (‘Pourquoi il est gros? Pourquoi il a cette tête?’). On peut alors lui expliquer que la personne vit quelque chose de difficile, qu’elle n’a pas choisi ce qui lui arrive, avant de demander à l’enfant comment il se sentirait, lui-même, si quelqu’un le pointait du doigt de cette façon.»
En revanche, si l’adulte n’est pas à l’aise, se montre choqué ou dégoûté face à une personne qui consomme de la drogue, l’enfant risque de la juger négativement, par simple mimétisme: «Il ne s’agit évidemment pas de suggérer que ce comportement est sain, ni de nier le malaise que peut provoquer la situation, mais d’expliquer que l'individu vit quelque chose de dramatique qui est hors de son contrôle, recommande notre experte. Si on a peur ou qu’on se sent gêné, on peut simplement proposer à l’enfant de s’éloigner, pour en discuter dans un lieu plus neutre, ou à la maison.»
Digérer nos propres émotions
Voilà qui peut infliger pas mal de pression à l’adulte, sachant que sa réaction immédiate pourrait bien déterminer la perception de l’enfant. Or, il n’est pas toujours possible de contrôler ses réactions émotionnelles, notamment lorsque la scène dont on témoigne nous bouleverse ou nous perturbe: «Si vous vous sentez choqué devant une personne droguée ou alcoolisée, ce n’est pas grave, rassure la psychologue. On ne sait pas toujours que dire et si notre première réaction est forte ou exprime un jugement négatif, on peut en rediscuter avec l’enfant plus tard, en expliquant qu’on n’aurait pas dû s’emporter, mais qu’on a été surpris. L’important est de ne pas refouler nos émotions, mais de les clarifier, les digérer, pour aider l'enfant à faire de même.»
Demander de l’aide dans l'immédiat
Amélie Brand rappelle toutefois qu’il est rare de voir une personne se piquer ou sous l’influence de substances psychoactives. Lorsque cela arrive, on peut toutefois rappeler que ce comportement n’est pas normal, qu’il est dangereux, et demander de l’aide autour de nous, si l’état de la personne paraît inquiétant: «C’est une bonne attitude générale dans la vie, qu’on peut communiquer aux plus jeunes, souligne la psychologue. Si on se sent dépassé, on ne doit pas gérer la situation seul ou prendre des risques, mais demander du renfort et appeler un professionnel, afin que la personne puisse être aidée.»
Relativiser
Notre intervenante conseille par ailleurs de prendre un peu de recul et de réaliser qu’on ne peut pas protéger nos enfants de tout, ni les préserver de ce qui est difficile à comprendre ou accepter: «Ils comprennent à un moment donné que le temps de chacun est limité, sont confrontés à des événements, des images ou des discours difficiles... Il n’y a pas que de la douceur et de l’empathie dans notre environnement. Le rôle des adultes est de soutenir les enfants pour supporter ces faits et pour apporter leur aide en fonction de leurs possibilités.»
Rappeler des limites
Lorsqu’une conversation familiale inclut ce genre de thématique et qu’on constate une certaine curiosité, notamment chez les ados, il est important de poser un cadre et de définir certaines limites: «Au cours de l’enfance et de l’adolescence, quand le cerveau est encore en cours de développement, il est préférable d’éviter tout type de substance, rappelle Amélie Brand. C’est le moment pour les parents de fixer des règles, de donner leur avis de façon claire (‘Je ne suis pas d’accord que tu prennes du cannabis’) et de rappeler aux jeunes qu’il est important de protéger son corps et sa santé.»
Bien qu’elle observe une marge de tolérance de la part de certains parents, qui peuvent accepter une consommation rare, ou juste pour «tester», la psychologue énumère les comportements qui doivent alerter: «Dès qu’on constate un effet général sur l’humeur, un désintérêt pour les activités habituellement appréciées, un impact sur les relations avec les autres ou les idées d’avenir, il faut intervenir au plus vite, prévient-elle. Et quelle que soit la substance, il est indispensable d'en parler, de cerner les quantités consommées et les conséquences de cette consommation. Si une règle est transgressée, la réponse dépendra du parent, mais il faut faire comprendre qu'on n'est pas d'accord.»