Une psychologue explique comment gérer la défaite
«Les échecs peuvent ébranler notre identité»

Pourquoi la société nous juge-t-elle si durement lorsque nous échouons et quelle est la meilleure façon de gérer un échec? Une professeure en psychologie et chercheuse à l'Université de Zurich nous répond.
Publié: 21.06.2024 à 12:15 heures
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Ainsi que le souligne Veronika Brandstätter-Morawietz, professeure en psychologie à l'Université de Zurich, nous sommes souvent tenus responsables de tous nos échecs.
Photo: Getty Images
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Robin Bäni

Pourquoi beaucoup de personnes craignent-elles l'échec ?
Veronika Brandstätter-Morawietz: Nos objectifs, nos projets et nos intentions façonnent notre identité. Lorsque nous échouons, nous subissons un séisme psychique. Notre identité est ébranlée, et nous sommes considérés comme des perdants.

Car l'échec est très stigmatisé...
Exactement. Dans les pays industrialisés occidentaux, la culture individualiste est largement prédominante. Selon un proverbe, chacun d'entre nous est l'artisan de sa propre chance. Lorsque quelque chose ne fonctionne pas, l'échec est rapidement attribué à la personne elle-même, plutôt qu'à la situation qu'elle a vécue. 

En Suisse justement, des valeurs telles que la performance, l'ambition et la conscience sont fortement ancrées dans la culture collective. Dans notre pays, nous avons beaucoup de possibilités, beaucoup d'opportunités de formation. Une personne qui échoue dans ce système est, aux yeux de la société, responsable de son propre échec et aurait dû mieux profiter des chances qui lui ont été données. 

Beaucoup de personnes dissimulent donc leurs échecs?
Oui, car cela implique beaucoup de honte. Personne n'a envie de lever la main pour affirmer: «Je suis la personne qui n'a pas réussi!» 

Il existe des initiatives comme la «FuckUp Night» à Zurich, où les gens racontent leurs échecs. Observez-vous un changement de mentalité en Suisse?
Je ne pense pas que ce soit le signe d'un changement de mentalité. Les personnes qui participent à ce genre d'événement ont certainement été déstabilisées d'une certaine manière. Mais au final, elles racontent quand même une histoire de réussite. Il y a quelque chose d'héroïque dans le fait de raconter comment on s'est battu pour rebondir, après une faux pas. Cela peut donner du courage et rappeler que la vie continue après la défaite. Mais l'échec en soi n'est pas représenté sous un jour plus positif.

Quelle est la meilleure façon de gérer l'échec?
Il est normal de ressentir une certaine frustration, de la honte ou de la tristesse, lorsqu'on échoue. Mais après cette phase de deuil, il est important de pouvoir se calmer, de réguler ses émotions et de ne pas se laisser happer par des spirales de pensées négatives. Les personnes qui y parviennent peuvent évoluer, en tirer un apprentissage et intégrer l'échec dans l'image qu'elles se font d'elles-mêmes.

Cela semble plus facile à dire qu'à faire...
Bien sûr, c'est un processus difficile lorsqu'on a subi un échec cuisant! Parfois, il est utile d'admettre qu'un certain projet est irréalisable et qu'il faut y renoncer. On retrouve alors plus de ressources, plus de temps et de force pour se lancer dans un autre projet qui semble vraiment à notre portée. 

Mais il est difficile de faire une croix sur ses objectifs!
Oui, car de nombreuses personnes jeunes adoptent une stratégie de poursuite obstinée de leurs objectifs. Ils ne veulent pas capituler tout de suite, ce qui n'est pas une mauvaise chose à ce stade de la vie, tant que cette témérité ne déborde pas. Mais avec l'âge, les enjeux augmentent. On peut être plus limité physiquement ou financièrement et certains objectifs ne peuvent alors plus être atteints.

Cela semble bien déprimant...
Ce n'est pas forcément le cas! Les personnes âgées réagissent généralement de manière très flexible. Elles sont douées pour modifier leurs objectifs et adapter leurs attentes à elles-mêmes. Elles savent mieux gérer les pertes ou les échecs. On pourrait dire que les gens deviennent plus sages, avec le temps. 

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