Quand on parcourt chaque jour les mêmes pavés, il nous paraît impensable qu'ils puissent, un jour, témoigner d'une tragédie. Pas moi, pas ici, pas maintenant, tente constamment de nous affirmer notre cerveau... Cette bulle de sécurité imaginaire s'est pourtant fissurée le lundi 11 décembre 2023, à Sion, où une fusillade a coûté la vie de deux personnes.
Une chasse à l'homme, suivie d'une arrestation, ont contribué à graver l'événement dans nos mémoires, alors que les habitants de la région retenaient leur respiration. Et comme à chaque fois que les médias suisses relaient une horreur locale, le monde extérieur semble changer de teinte. Des sentiments de peur, de tristesse ou d'inquiétude peuvent s'immiscer là où seules les habitudes avaient l'autorisation de se nicher. On quitte la maison en réalisant, plus que jamais, à quel point l'insouciance est un luxe.
Face à ce type d'actualité, Katia Schenkel, docteure et psychologue FSP et responsable de la commission psychologie d’urgence AGPsy à Genève, évoque plusieurs mécanismes différents: «L’un des premiers phénomènes est une réaction de choc, car ce genre d’événement est impossible à prévoir et nous prend de court, analyse-t-elle. Tout notre système nerveux est mis en alerte, comme si nous étions nous-mêmes confrontés à la menace. Bien que celle-ci ne soit pas directe, on ressent réellement cette impression.»
Pour l'experte, ce phénomène peut se manifester de manière intense si l’événement choquant fait irruption dans notre cadre quotidien: «Nous sommes généralement capables de maintenir une distance émotionnelle avec les faits divers survenant à l’étranger, qui ne perturbent pas notre sentiment de sécurité. Mais si l’événement a lieu dans un environnement connu, qu’on pensait irréductiblement sûr, cela peut activer notre système d’alarmer.»
Tout notre organisme est en alerte
En effet, lorsque notre corps perçoit une menace, il prend automatiquement certaines mesures pour augmenter nos chances de survie: «Tout notre organisme réagit, mobilise notre attention et nous prépare à l’action, poursuit Katia Schenkel. On peut notamment sentir une boule au ventre ou remarquer que notre cœur bat plus vite, puisque le sang afflue dans nos muscles, afin de les tenir prêts à réagir. D’un point de vue émotionnel et comportemental, cette réaction d'hypervigilance nous ramène à l’idée qu’on pourrait être en danger et se manifeste notamment par une tendance à sursauter facilement, des pensées répétitives, un sentiment de peur ou de colère et une envie de se renseigner davantage sur l’actualité.»
Contre toute attente, ces réactions ne concernent pas uniquement les personnes de nature anxieuses, bien que ces dernières soient plus facilement triggered (ou «activées») par ce type d'événement: «Cela peut résonner en chacun d’entre nous, surtout si l’on a déjà vécu un événement difficile comme une agression, ou si l’événement s’est déroulé dans notre région, précise la spécialiste. On tend alors à s’identifier aux victimes, notamment si l’on connaît les proches des personnes touchées, ou si l’attaque a eu lieu dans une rue qu’on traverse souvent, par exemple.»
En d'autres termes, la psychologue souligne qu'une telle actualité peut bousculer la croyance fondamentale que nous vivons dans un lieu sûr, au quotidien, et qu’il n’est pas nécessaire de lutter pour notre survie à chaque instant: «Notre bulle de sécurité se trouve ébranlée par l’actualité, car on est brusquement confronté à la possibilité qu'il nous arrive quelque chose, à nous ou à nos proches.»
Comment apaiser notre système nerveux
Si vous vous reconnaissez dans ces propos et que l'actualité vous donne la sensation désagréable d'être constamment en danger, Katia Schenkel recommande d'identifier ces réactions inhabituelles, afin de les observer et d'assurer qu'elles ne s'installent pas dans la durée.
«C'est la première étape, affirme-t-elle. Ensuite, il est important de faire comprendre à notre système nerveux qu’une réaction imminente n’est pas nécessaire et que le danger n'est pas directement présent.» Pour cela, notre intervenante recommande des exercices destinés à nous ramener à l’instant présent, dont la respiration, ou le simple fait de prendre un peu de recul, en se rappelant consciemment qu’on n’est pas en danger, que la peur vient d’images et de pensées. «Pour retrouver leur routine rassurante, certaines personnes ont besoin d’être chez elles, de voir leurs proches ou d’en parler, liste-t-elle. Tant qu’on prend soin de nous et qu’on retrouve nos habitudes, cela nous aide à nous désactiver émotionnellement et prendre de la distance avec les faits.»
Cependant, si ces réactions ou émotions désagréables se prolongent («au-delà d'un mois», note l'experte), il est important de prendre contact avec votre médecin traitant, afin d’éviter que cela s’ancre trop profondément. «Le fait d’en parler avec des proches peut déjà vous soulager et désamorcer la situation», rassure la psychologue.