Polo est passé par la case «psy pour chien». Ce cairn terrier de 12 ans menait une vie paisible à Genève jusqu’à ce qu’une phobie des bruits nocturnes lui gâche ses sorties. Heureusement, une seule consultation avec la Genevoise Laurence Seynaeve Mérat, éducatrice canine spécialisée en comportement et titulaire d’un master en éthologie, lui a permis de surmonter ses peurs. Elle a conseillé aux retraités Jacqueline et Éric Favez une méthode toute simple pour aider leur compagnon à quatre pattes: un bout de cervelas à chaque pas qui le rapproche de l’extérieur, tout en gardant le contact avec sa maîtresse. Après une semaine, le souci était oublié.
Les études de vétérinaires et d’éthologues le prouvent, les chiens peuvent être atteints de phobies, d’anxiété, de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), voire de dépression. «Les troubles dépressifs ne sont pas les plus fréquents, explique Laurence Seynaeve Mérat. Ils se caractérisent par une anhédonie, soit le fait de ne plus être motivé, de ne plus avoir envie de sortir, de jouer ou de voir d’autres congénères. Cela peut aller jusqu’à refuser de boire ou de manger.»
Dans ces cas, les toutous peuvent consulter un éducateur spécialisé en comportementalisme ou un vétérinaire comportementaliste, deux professions souvent confondues, mais qui collaborent étroitement. Les premiers passent des diplômes d’éducateurs animaliers, puis se spécialisent en comportement pour effectuer le suivi sur le terrain et donner des cours aux propriétaires. Les seconds ont une formation universitaire suivie d’une spécialisation de vétérinaire comportementaliste et sont habilités à prescrire des médicaments.
«L’idée derrière notre pratique, c’est que l’on peut améliorer le comportement d’un être si on le respecte, qu’on l’observe attentivement et qu’on prend les mesures adéquates», définit la Dre Anneli Muser Leyvraz, présidente genevoise de l’Association vétérinaire suisse pour la médecine comportementale (STVV).
«Il ne pouvait même pas nous regarder dans les yeux»
Mais tous les cas ne sont pas aussi simples que celui de Polo. Nobu, un jeune shiba inu, a rencontré pas moins de trois éducateurs canins. «Ses peurs de chiot n’ont pas disparu et se sont développées en paniques. Au début, il ne pouvait même pas nous regarder dans les yeux et il aboyait sur tout ce qui bougeait», résume sa propriétaire Seyran Mutlu, doctorante en biologie. Des consultations nombreuses, des exercices pour s’habituer à la présence de ses maîtres, pour l’aider à faire ses balades en ville, des cours collectifs pour favoriser les rencontres positives avec ses congénères: la Neuchâteloise estime avoir déboursé près de 1000 francs pour permettre à son chien de race, adopté dans un élevage en Suisse, d’améliorer son comportement. En contactant les propriétaires des autres membres de la portée de Nobu, elle remarque que tous ont été mal socialisés et souffrent de troubles du comportement. Aujourd’hui, les aboiements de Nobu ont diminué, mais Seyran Mutlu garde une dent contre les éleveurs, qui ont selon elle mal fait leur travail.
Le cas de Djoy est encore plus compliqué. Saskia Etienne a adopté cette croisée griffon à l’âge d’un an et demi auprès de la SPA. Née dans un refuge en Russie, elle semble avoir eu très peu de contacts avec des humains lors de ses premiers mois de vie. «Elle a peur de tout, se désole l’habitante du Val-de-Travers (NE). Il m’était impossible de la promener autre part qu’en pleine nature, sans rencontrer personne.» La première éducatrice que Saskia rencontre laisse entendre que sa chienne est dépressive. La seconde lui conseille de consulter une vétérinaire comportementaliste très réputée en Suisse romande, la Fribourgeoise Colette Pillonel. Cette dernière pose un diagnostic: Djoy souffre de troubles anxieux doublés d’un important syndrome de privation. Elle est incapable de s’adapter à l’inconnu et est constamment effrayée, sur ses gardes.
Pour la soigner, Saskia a tout essayé: homéopathie, huile de CBD ou encore communication animale (ndlr: faire appel à une personne capable de communiquer par télépathie avec un animal). Rien n’y fait. Djoy se voit alors momentanément prescrire des antidépresseurs. Aujourd’hui, bien que la situation se soit améliorée, Saskia avoue s’être adaptée à sa chienne plutôt que l’inverse. Mais l’ardoise est salée. L’employée de commerce estime que les soins apportés à Djoy lui auraient au total coûté pas loin de 4000 francs. «Soit je ne la gardais pas, soit j’essayais de faire quelque chose. Elle est tellement attachante. Je ne me voyais pas l’abandonner», raconte-t-elle.
De manière générale, en consultation, les vétérinaires comportementalistes évitent d’accabler le maître, même si l’environnement lors des premières semaines de vie joue un très grand rôle. «Le propriétaire peut aggraver un comportement négatif, mais il n’est pas le seul responsable, précise Anneli Muser Leyvraz. Les pathologies psychiques peuvent également provenir de prédispositions génétiques chez l’animal.»
La charge émotionnelle du Covid
La grande majorité des professionnels interrogés indiquent avoir reçu davantage de patients pour des troubles psychiatriques depuis le début de la pandémie. Certains estiment que les animaux de compagnie ressentent les anxiétés de leur maître et les reproduisent. «Avec la charge émotionnelle provoquée par le Covid, c’est comme si les chiens et les chats agissaient en miroir de leur maître», indique le vétérinaire généraliste et comportementaliste Alain Von Allmen, à Neuchâtel.
Semi-confinement et télétravail ont libéré du temps et semblent avoir boosté le nombre d’adoptions. En effet, selon la base de données animales Identitas, le nombre de détenteurs de chiens en Suisse a grimpé de 7,5% de décembre 2019 à décembre 2021. Romaine Spahr, vétérinaire comportementaliste à Sion, estime que cela a pu causer des dégâts sur la santé mentale de nos compagnons: «Ces chiens, souvent jeunes ou venus de sociétés de sauvetage, ont fait face à de nombreux changements de rythme dans la relation avec leur figure d’attachement.» Selon elle, bon nombre de ces nouvelles adoptions «se sont révélées peu raisonnables et ont conduit à des abandons, et donc à des troubles». De plus, les cours d’éducation canine ont été stoppés durant la pandémie, ce qui a pu conduire à de mauvaises socialisations. «Lorsqu’on veut donner une nouvelle vie à ces êtres, il faut se rendre compte que cela demande beaucoup de travail, de temps et de patience», conclut Anneli Muser Leyvraz.
(En collaboration avec Large Network)