Lorsqu’il a commencé au bureau il y a trois mois, elle a tout de suite remarqué sa démarche assurée, son air taquin et son sourire dévoilant une fossette. Simple observation objective, s’était-elle dit. Pourtant, depuis, il lui arrive parfois de penser à lui lors de moments intimes avec son compagnon. En s’imaginant coucher avec son séduisant collègue, notre protagoniste fictive a-t-elle été infidèle? L’excitation qu’elle a ressentie à ces occasions est-elle le révélateur d’un malaise ou d’une fragilité au sein de son couple?
Des interrogations pas vraiment agréables et qui rappelleront des choses à bon nombre d’entre nous. Car oui, première nouvelle, tout le monde ou presque s’est déjà retrouvé à fantasmer sur une autre personne que celle partageant leur vie. Et pour autant, échafauder des scénarios torrides impliquant sa voisine, son prof de sport, la copine de son meilleur ami, ou même une célébrité ne fait pas de nous des obsédés, ni des infidèles notoires.
Fantasmer, un signe de bonne santé
«Fantasmer n’est ni immoral ni honteux, même lorsque l’on est en couple et que tout se passe bien par ailleurs», indique Natalia Pavalachi, sexologue clinicienne à Lausanne. «Ce n’est pas parce qu’on décide d’être fidèle à sa ou son partenaire que notre cerveau cesse de réagir à certains stimuli. Cette personne sur laquelle sont dirigés les fantasmes, même s’il s’agit toujours d’une version idéalisée, non réelle, peut en effet correspondre à certains de nos codes d’attraction et éveiller des choses en nous».
Selon la spécialiste, qui reçoit dans son cabinet des couples de tous âges, ces scénarios érotiques seraient de plus le signe d’une bonne santé psychique et sexuelle: «Le fait d’avoir cette capacité de réaction aux stimulations est positive. Fantasmer sur quelqu'un d'autre prouve aussi que votre libido fonctionne correctement, qu'elle n'est pas éteinte, comme c’est le cas lorsque l’on est déprimé ou anxieux par exemple».
Quand la culpabilité empêche de prendre son pied
Malgré tout, pas facile de se départir du trouble et du sentiment de culpabilité le plus souvent engendrés par ces rêveries classées X. Or, selon Natalia Pavalachi, ce sont justement ces interprétations négatives («c’est injuste pour mon partenaire», «je suis en train de la tromper», «ces fantasmes sont le signe que notre couple va mal», …) qui ruinent nos chances de jouir d’une sexualité de couple épanouissante, ou de jouir tout court: «Il est crucial de comprendre qu’il est impossible de contrôler ces pensées érotiques», insiste la spécialiste. Dès lors, on comprend que tenter de brider ces fantasmes reviendrait uniquement à leur faire prendre une place plus importante. La preuve, si on vous demande de ne penser sous aucun prétexte à un flamant rose dressé sur une patte, à quoi pensez-vous?
À l’inverse, selon Natalia Pavalachi, lorsqu’elles sont libérées de leurs connotations négatives, ces productions de l’esprit agissent comme un véritable booster pour notre vie sexuelle «réelle»: «Les fantasmes ont ce formidable pouvoir de stimuler le désir et d'accentuer la passion avec son partenaire. Aussi, du moment qu’ils sont présents et puisqu’on ne peut pas les contrôler, il serait dommage de ne pas en profiter pour prendre du plaisir avec celui ou celle qu’on aime».
Faut-il en parler avec son partenaire?
Si parler de ses fantasmes à son copain ou sa copine s’avère plutôt positif en théorie, les choses se compliquent un peu lorsque ces derniers impliquent une personne tierce. Aussi, selon Natalia Pavalachi, il est nécessaire de connaitre le degré de sensibilité de son partenaire avant de lui ouvrir en grand les portes de notre imaginaire érotique: «Chez certaines personnes, de telles révélations peuvent engendrer tristesse, remise en question et même perte de l’estime de soi, alors que dans d’autres situations, le fait de s’ouvrir sur ces pensées parfois difficiles à gérer peut être vu comme une marque de confiance qui signifie: «Je t’en parle parce que je suis en couple avec toi et que je ne souhaite pas que ces pensées occupent plus de place que nécessaire"». Néanmoins, vous l’aurez compris, en cas de doute et pour ne pas risquer de blesser l’autre, il est le plus souvent préférable de garder son jardin secret.
Un risque de passage à l’acte?
Si d’après Oscar Wilde la seule manière de se délivrer d’une tentation consiste à y céder, Natalia Pavalachi ne l’entend pas de cette oreille: «Fantasmer que l’on fait l’amour avec quelqu’un d’autre que son amoureux ou amoureuse ne veut pas dire que l’on va le ou la tromper. On peut tout à fait utiliser ces images mentales pour rendre sa vie sexuelle plus satisfaisante sans pour autant franchir la ligne rouge».
Mais si fantasmer n’est pas tromper, existe-t-il une limite à ne pas franchir? Une question à un million de francs à laquelle Natalia Pavalachi apporte une réponse nuancée: «Dans ma pratique, je me suis rendu compte que l’on retrouve autant de conceptions de la fidélité que de couples», et d’ajouter: «Pour ouvrir la discussion, j’aime bien poser cette question à mes patients: «Préférez-vous que votre partenaire couche avec vous en pensant à quelqu’un d’autre, ou couche avec quelqu’un d’autre en pensant à vous? Sans faire de généralités, j’ai remarqué que les hommes avaient tendance à préférer la première proposition et les femmes la seconde. Ainsi, de la même manière qu’un traumatisme peut affecter profondément une personne et pas une autre, un même comportement pourra être considéré, ou non, comme relevant de la tromperie».
Alors, la prochaine fois qu’une tierce personne viendra s’inviter dans vos moments d’intimité, rappelez-vous que cette forme d'imagination primordiale pour recharger sa libido et stimuler ses désirs est également la garante d’une vie sexuelle de couple épanouie: «Même si on aime son partenaire de tout son cœur, sans fantasme, on fait vite le tour du sexe», conclut Natalia Pavalachi.