L'automne est nostalgique. La preuve: les marathons Harry Potter ont commencé le 1er septembre, tandis que la communauté booktok s’ensevelit peu à peu sous une avalanche de citrouilles. Les souvenirs d’enfance se mêlent à l'illusion de retrouver les couloirs chaleureux de la salle communale de Gryffondor… Bref, pour les millenials, la nostalgie des années 2000 est à son comble.
Les dernières collections de Lush en témoignent: One Piece, Barbie, Bob l’éponge… La marque de cosmétiques savonne nos cordes sensibles. Du côté de McDonald’s, les Happy Meals s’agrémentent en ce moment des immortels Pokémon, dont la franchise née en 1996 évolue aussi vite qu’Évoli.
Sur Netflix, la récente série «One Piece», basée sur un manga de 1997, a rassemblé plus de 18 millions de vues en une semaine. Sur Disney+, les spin-offs de «Star Wars» érigent leur empire. D’après «Slate», les cartes à collectionner «Yu-Gi-Oh» ou «Magic» ont toujours du succès... Et ne parlons même pas de Barbie, dont le film a collé un filtre fuchsia sur le monde, cet été. Toutes ces productions soulignent un fol attachement au passé.
C’est quoi, la nostalgie?
«La nostalgie est un sentiment réconfortant, ancré dans le souvenir de moments heureux qu’on a vécus antérieurement, explique la psychologue FSP Sarah Bezençon. Il s’agit souvent de périodes ou d’événements positifs et marquants, auxquels on attribue un sens particulier ou qui ont contribué à nous forger.»
Ainsi que le souligne l’experte, ce sentiment nous plonge dans des souvenirs idéalisés que nous avons tendance à magnifier, pour les revivre avec une certaine intensité. Par exemple, si on a vécu de fortes émotions ou un grand bonheur durant notre (première) «phase» Harry Potter, chaque mention du jeune sorcier risque de susciter une bouffée de joie.
Pourquoi nous réconforte-t-elle?
De cette manière, on puise dans les pépites du passé pour embellir notre présent: «Ce sentiment peut représenter une forme de refuge dans lequel on s’abrite pour reprendre des forces, avant de retrouver le tumulte du quotidien, reprend la psychologue. En se remémorant ces belles émotions passées, elles peuvent être transposées dans le présent et nous réconforter.»
Or, il arrive que la nostalgie implique un soupçon de tristesse. Pour Sarah Bezençon, elle constitue même l’antichambre de la mélancolie: «Ces deux émotions sont faciles à confondre, mais la nostalgie est plus passagère et permet de se remettre en action, alors que la mélancolie possède un caractère durable et figé. Les recherches ont démontré que la nostalgie intervient comme une ressource lorsqu’on se sent vulnérable ou d’humeur maussade.»
Or, il faut qu’elle reste une escapade fugace, destinée à reprendre des forces, car si elle s’installe, on risque d’être subjugué par la mélancolie, qui indique peut-être un problème de fond.
Sommes-nous plus nostalgiques, en 2023?
Reboots de séries, collaborations de mode style 90’s… Le film «Mario Bros» et la future série «Twilight» (ce n’est pas une blague!) prouvent que le phénomène se généralise, si bien qu’aucune franchise actuelle ne suscite le même type d’engouement. «Au niveau collectif, le temps paraît s'accélérer d’année en année, dans l’ombre de la crise climatique qui peut nous faire regretter une époque où le futur ne semblait pas voué au désastre», analyse Sarah Bezençon.
Mireille Berton, maître d'enseignement et de recherche au Centre d'études cinématographiques de l’Unil, constate même que cette «rétromania» date du début du XXIe siècle: «Je pense que la transition numérique a contribué à ce phénomène de réinvestissement d’objets, d’esthétiques, de pratiques analogiques, précise-t-elle. Le goût pour l’analogique s’exacerbe en effet au tournant des années 2000, en réponse à la transition numérique qui a pour effet de dématérialiser notre rapport aux objets culturels et artistiques.»
Pour la spécialiste, la nostalgie prend aujourd’hui des proportions inédites, tant on la retrouve partout, notamment dans les médias et la culture populaire. «Pour certaines personnes, la nostalgie constitue l’expression d’un refus de se confronter au présent par une fuite dans le passé, poursuit-elle. Pour d’autres, elle permet une redécouverte du passé, de sa matérialité, de son esthétique, et de réinviter le présent et le passé à la fois».
En d’autres termes, ce sentiment permet de réconcilier présent et passé, de réfléchir aux erreurs du passé pour mieux les dépasser ou de créer un sentiment d’appartenance.
C’est grave, d’être nostalgique?
Pas de panique, si vous collectionnez les cartes Pokémon ou les cartons de Honeydukes (les vrais savent). S’appuyant sur diverses études, Mireille Berton révèle que les personnes susceptibles d’être nostalgiques sont les plus créatives, les plus confiantes en l’avenir, les plus ancrées dans la vie et les plus sociables: «La nostalgie est donc tout sauf un sentiment négatif qui empêche de regarder vers l’avenir, puisqu'elle éveille des sentiments agréables et positifs!» Ainsi, tant que cette émotion ne nous empêche pas de vivre le présent, tout va bien.
L’experte rappelle toutefois que certains films et séries la transforment en une stratégie de rétromarketing, en relançant un produit d’une période historique à des fins commerciales et en misant sur les affects attachés à un objet.
Ainsi prend-elle l’exemple, très parlant, de Barbie: «Pour ceux qui n’ont jamais connu l’original, il s’agit de pseudo-nostalgie, comme lorsque la génération Z s’enthousiasme pour une série comme “Stranger Things”. Par ailleurs, beaucoup de ces productions nostalgiques proposent une vision idéalisée d’une époque passée, sans prendre en compte les éléments les plus questionnables.»
Alors, soyons nostalgiques, relisons «Le Prisonnier d’Azkaban» et portons des T-shirts Kirby… mais avec un peu de distance critique, tout de même!