Nouvelle pratique
Et si vous étiez composté au lieu d'être enterré ou incinéré?

Alors que la crémation reste le rite funéraire le plus pratiqué en Suisse, et le seul légal avec l’inhumation, certaines personnes tentent d’imposer une autre méthode. L’humusation est une sorte de compostage qui permettrait, entre autres, de moins polluer.
Publié: 25.11.2023 à 17:54 heures
L'humusation se veut être une alternative à l'enterrement ou à la crémation. Elle n'est pour le moment pas légalisée en Suisse.
Photo: Shutterstock
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Sarah Joliat entend parler de la mort tous les jours. Normal, quand on gère une entreprise de pompes funèbres à Vevey. Et logiquement, elle a déjà pensé à la sienne. «Est-ce que j’aimerais plutôt me faire brûler ou enterrer? Et en fait, ni l’un ni l’autre», a-t-elle réalisé il y a quelques années.

C’est lorsqu’elle entend parler pour la première fois de l’humusation qu’une nouvelle perspective s’ouvre. Ce procédé, qui s’apparente à celui du compostage appliqué aux morts, a été autorisé dans six États américains. En Europe, c’est la fondation belge Métamorphose qui se place en tête de la lutte pour sa légalisation.

Sarah Joliat a donc pris conseil auprès de celle-ci à partir de 2018, avant de devenir ambassadrice en Suisse, puis de fonder l’association Humusation Suisse en 2021. Son objectif: informer le grand public et attirer l’attention des pouvoirs publics afin que cette alternative à la crémation et à l’inhumation soit enfin légalisée.

Un mode de sépulture 100% naturel

«L’humusation est un mode de sépulture 100% naturel. L’idée serait de déposer le corps, emballé dans un linceul biodégradable, sur une sépulture végétale», explique Sarah Joliat. Il faut imaginer un «matelas d’une vingtaine de centimètres», composé de bois finement broyé et gorgé d’eau de pluie, d’accélérateurs naturels de décomposition et d’un peu d’argile, sur lequel le corps est placé avant d’être recouvert du même mélange. La butte ainsi formée est ensuite surmontée de paille, de feuilles mortes et de tonte de pelouse, puis d’une bâche. 

«Après, le corps se transforme en humus [une sorte de terreau, ndlr] au cours d’un processus qui dure environ une année», complète Sarah Joliat. Bref, exactement le même principe que le compost, même si la spécialiste n’aime pas beaucoup employer ce terme, de peur que «les gens fassent le lien avec les déchets ménagers, et que ça fausse l’image de l’humusation».

Deux questions reviennent d’ailleurs invariablement quand Sarah Joliat parle du procédé autour d’elle. «Les gens s’interrogent surtout sur l’odeur et ont peur que des bêtes viennent gratter et chercher des bouts de corps.» Dans les deux cas, assurent les partisans de l’humusation, il n’y a rien à craindre. La grande quantité de lignine, un composé du bois, bloque les odeurs de décomposition. Ce qui permet donc de ne pas attirer les charognards. 

Plus écolo… et plus romantique

Mais alors, pourquoi se pencher vers ce mode de sépulture alternatif? Le premier argument avancé est écologique. Une crémation (choisie par 90% des Suisses) implique de chauffer le corps pendant environ 1h30 à 1’000°C, ce qui consomme beaucoup d’énergie. Cela rejette notamment du dioxyde de carbone, responsable du réchauffement climatique. Une inhumation libère aussi dans les sols des substances toxiques à ce niveau de concentration, telles que le phosphore, le zinc ou le soufre. Sans compter le coût écologique par exemple de la thanatopraxie: ces soins de conservation, destinés à repousser la putréfaction, sont très polluants.

Avec l’humusation, rien de tel, assurent ses partisans. La microfaune va venir décomposer le corps. «Grâce aux micro-organismes des premières couches du sol, le corps retourne à la terre donc il y a beaucoup moins de pollution», résume Sarah Joliat. Mais ce n’est pas le seul argument mis en avant par la fondation Métamorphose, qui pointe également le coût des frais de concession dans un cimetière, de l’achat d’un cercueil ou de la location d’un columbarium. 

L’autre avantage, selon Sarah Joliat, est bien moins trivial, presque romantique. «Ce que je trouve beau, c’est que le processus est doux», explique-t-elle. «On imagine que ça dure à peu près une année et dans cette première année, il y a toutes les premières fois: le premier Noël, les dates d’anniversaire… symboliquement, je trouve ça magnifique.» Selon la responsable des pompes funèbres, l’humusation rassure aussi certaines personnes. «L’idée de ne pas être enfermée dans un cercueil me plaît. Je ne suis pas claustrophobe mais les gens à qui j’en parle me disent qu’ils ont moins peur de mourir comme ça.»

Main d’œuvre et risques sanitaires

Reste que la pratique n’est pas dénuée d’inconvénients. Le premier est celui de la logistique que cela nécessite. Car pour assurer une décomposition en bonne et due forme, des «humusateurs» devront prendre soin des buttes. Les retourner, les aérer et… récupérer ce qui ne peut être décomposé (comme des prothèses métalliques ou un pacemaker par exemple) pour le broyer. Interpellé sur le sujet par la députée verte Sabine Glauser Krug l’année dernière, le Conseil d’État du canton de Vaud avait également souligné certaines difficultés logistiques. «Bien que ce type de procédé soit plus naturel, l’issue de la biotransformation du corps en humus est beaucoup plus aléatoire et nécessite une surface d’exploitation funéraire conséquente en exigeant une immobilisation du sol sur plusieurs mois», soulignait-il en juin 2022 dans sa réponse.

Ensuite, la crainte est celle des agents infectieux, virus et bactéries par exemple, qui pourraient provoquer des maladies. Ne pourraient-ils pas se développer avec l’humusation, alors même que les rites funéraires ont au départ pour principal objectif d’éviter de contaminer les vivants? Pour la fondation Métamorphose, aucun risque. À l'œuvre sous la bâche, les micro-organismes en plein boulot de décomposition vont faire augmenter la température pendant plusieurs semaines, aux alentours de 70°C, ce qui doit permettre de se débarrasser des agents infectieux. Mais certaines bactéries résistent encore à ces niveaux de température.

Une affaire de symboles

Les réticences sont aussi, et même surtout, de principe. «J’ai lu que c’était un manque de respect envers les morts, voire une atteinte à la paix des morts! Ça me dépasse», s’agace Sarah Joliat. «Quand on donne son corps à la médecine ou à la science, ces corps sont souvent découpés afin de pouvoir faire des recherches ou de les étudier. L’atteinte à la paix des morts, je me demande ce que les gens entendent par là.»

Les rites funéraires étant tout de même souvent affaire de symbole, les partisans de l’humusation n’ont pas pu faire l’économie de creuser le sujet. Et proposent plusieurs solutions pour s’assurer que le recueillement soit possible. D’abord, «quand le corps s’est transformé en humus, les familles ont la possibilité de le récupérer», souligne Sarah Joliat. Elles peuvent ainsi le garder ou le disperser, selon ses envies. La fondation Métamorphose a, elle, imaginé un «Bois du souvenir» aménagé dans chaque commune et fertilisé avec le humus. 

Vers une légalisation?

Dans tous les cas, l’idée fait son chemin et Sarah Joliat s’en réjouit. «On en parle de plus en plus, cela suscite de l’intérêt. Le terme commence à être familier.» Fabrice Carrel, cofondateur de la société de prévoyance funéraire Everlife, se montre plus prudent. «C’est assez intéressant d’un point de vue écologique. Mais la Suisse accepte les nouvelles pratiques un peu plus lentement que ce qui se fait dans le reste du monde.» Pour lui, l’humusation «fait beaucoup de bruit» mais «on n’en est pas encore à l’étape où le marché le demande. À mon sens, c’est dû au profil un peu plus conservateur des citoyens suisses et au fait que ce marché reste un peu tabou».

L’association Humusation Suisse prend déjà les devants et récolte des signatures de volontaires, prêts à ce que leur cadavre serve à faire des tests pour vérifier la faisabilité de l’humusation. Elle est aussi en contact avec le SHIFT (pour Swiss Human Institute of Forensic Taphonomy, la taphonomie médico-légale, qui étudie donc tous les processus qui affectent un corps après la mort) afin d’obtenir le feu vert pour ces fameux tests.

Toujours en réponse à l’élue Sabine Glauser Krug, le Conseil d’État du canton de Vaud avait indiqué vouloir aller dans ce sens. «Des démarches ont été entreprises depuis plusieurs années [...] pour bénéficier d’un terrain de recherche afin d’étudier scientifiquement et objectivement ce type de sépulture; elles n’ont pas encore abouti.» Il qualifiait ensuite d’«important» le fait de pouvoir «accélérer le processus sans attendre.»

Sarah Joliat, elle, y croit dur comme fer: la Suisse se mettra à l’humusation. «Je suis très optimiste. C’est vraiment une suite logique. On nous dit toute la journée qu’on pollue, qu’il y a du réchauffement climatique… si ça ne se légalise pas, je ne comprendrais plus rien.»

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